Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/158

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répondre ; car, si vous vous fussiez encore obstinés après cela à ne point expliquer ce sens, il eût paru aux moins éclairés que vous n’en vouliez en effet qu’à la grâce efficace ; ce qui eût été la dernière confusion pour vous, dans la vénération qu’a l’Église pour une doctrine si sainte.

Vous avez donc été obligé de vous déclarer ; et c’est ce que vous venez de faire en répondant à ma Lettre, où je vous avais représenté que si Jansénius avait, sur ces cinq propositions, quelque autre sens que celui de la grâce efficace, il n’avait point de défenseurs ; mais que, s’il n’avait point d’autre sens que celui de la grâce efficace, il n’avait point d’erreurs. Vous n’avez pu désavouer cela, mon Père ; mais vous y faites une distinction en cette sorte, page 21 : Il ne suffit pas, dites-vous, pour justifier Jansénius, de dire qu’il ne tient que la grâce efficace, parce qu’on la peut tenir en deux manières : l’une hérétique, selon Calvin, qui consiste à dire que la volonté mue par la grâce n’a pas le pouvoir d’y résister ; l’autre, orthodoxe, selon les Thomistes et les Sorbonnistes, qui est fondée sur des principes établis par les Conciles, qui est que la grâce efficace par elle-même gouverne la volonté de telle sorte, qu’on a toujours le pouvoir d’y résister.

On vous accorde tout cela, mon Père, et vous finissez en disant que Jansénius serait catholique, s’il défendait la grâce efficace selon les Thomistes : mais qu’il est hérétique, parce qu’il est contraire aux Thomistes et conforme à Calvin, qui nie le pouvoir de résister à la grâce. Je n’examine pas ici, mon Père, ce point de fait ; savoir, si Jansénius est en effet conforme à Calvin. Il me suffit que vous le prétendiez, et que vous nous fassiez savoir aujourd’hui que, par le sens de Jansénius, vous n’avez entendu autre chose que celui de Calvin. N’était-ce donc que cela, mon Père, que vous vouliez dire ? N’était-ce que l’erreur de Calvin que vous vouliez faire condamner sous le nom du sens de Jansénius ? Que ne le déclariez-vous plus tôt ? Vous vous fussiez bien épargné de la peine ; car, sans Bulles ni Brefs, tout le monde eût condamné cette erreur avec vous. Que cet éclaircissement était nécessaire, et qu’il lève de difficultés ! Nous ne savions, mon Père, quelle erreur les Papes et les évêques avaient voulu condamner sous le nom du sens de Jansénius. Toute l’Église en était dans une peine extrême, et personne ne nous le voulait expliquer. Vous le faites maintenant mon Père, vous que tout votre parti considère comme le chef et le premier moteur de tous ses conseils, et qui savez le secret de toute cette conduite. Vous nous l’avez donc dit, que ce sens de Jansénius n’est autre chose que le sens de Calvin condamné par le Concile. Voilà bien des doutes résolus. Nous savons maintenant que l’erreur qu’ils ont eu dessein de condamner sous ces termes du sens de Jansénius n’est autre chose que le sens de Calvin, et qu’ainsi nous demeurons dans l’obéissance à leurs décrets en condamnant avec eux ce sens de Calvin qu’ils ont voulu condamner. Nous ne sommes plus étonnés de voir que les Papes et quelques évêques aient été si zélés contre le sens de Jansénius. Comment ne l’auraient-ils pas été, mon Père, ayant créance en ceux qui disent publiquement que ce sens est le même que celui de Calvin ?

Je vous déclare donc, mon Père, que vous n’avez plus rien à reprendre en vos adversaires, parce qu’ils détestent assurément ce que vous détestez. Je suis seulement étonné de voir que vous l’ignoriez, et que vous ayez si peu de connaissance de leurs sentiments sur ce sujet, qu’ils ont tant de fois déclarés dans leurs ouvrages. Je m’assure que, si vous en étiez mieux informé, vous auriez du regret de ne vous être pas instruit avec un esprit de paix d’une doctrine si pure et si chrétienne, que la passion vous fait combattre sans la connaître. Vous verriez,