Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/45

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ce dessein formé, il n'y sera point obligé. Eh bien! l'eussiez-vous cru? me dit-il. En vérité, mon Père, lui dis-je, je ne le crois pas bien encore. Et quoi! n'est-ce pas un péché de ne pas jeûner quand on le peut? Et est-il permis de rechercher les occasions de pécher? ou plutôt n'est-on pas obligé de les fuir? Cela serait assez commode. Non pas toujours, me dit-il, c'est selon. Selon quoi? lui dis-je. Ho, ho! repartit le Père. Et si on recevait quelque incommodité en fuyant les occasions, y serait-on obligé à votre avis? Ce n'est pas au moins celui du P. Bauny que voici, p. 1084: On ne doit pas refuser l'absolution à ceux qui demeurent dans les occasions prochaines du péché, s'ils sont en tel état qu'ils ne puissent les quitter sans donner sujet au monde de parler, ou sans qu'ils en reçussent eux-mêmes de l'incommodité. Je m'en réjouis, mon Père; il ne reste plus qu'à dire qu'on peut rechercher les occasions de propos délibéré, puisqu'il est permis de ne les pas fuir. Cela même est aussi quelquefois permis, ajouta-t-il. Le célèbre casuiste Bazile Ponce l'a dit et le P. Bauny le cite et approuve son sentiment, que voici dans le Traité de la Pénitence, q. 4, p. 94: On peut rechercher une occasion directement et pour elle-même, primo et per se, quand le bien spirituel ou temporel de nous ou de notre prochain nous y porte.

Vraiment, lui dis-je, il me semble que je rêve, quand j'entends des religieux parler de cette sorte! Eh quoi, mon Père, dites-moi, en conscience, êtes-vous dans ce sentiment-là? Non, vraiment, me dit le Père. Vous parlez donc, continuai-je, contre votre conscience? Point du tout, dit-il: je ne parlais pas en cela selon ma conscience, mais selon celle de Ponce et du P. Bauny, et vous pourriez les suivre en sûreté car ce sont d'habiles gens. Quoi! mon Père, parce qu'ils ont mis ces trois lignes dans leurs livres, sera-t-il devenu permis de rechercher les occasions de pécher? Je croyais ne devoir prendre pour règle que l'Ecriture et la tradition de l'Eglise, mais non pas vos casuistes. O bon Dieu, s'écria le Père, vous me faites souvenir de ces Jansénistes! Est-ce que le P. Bauny et Bazile Ponce ne peuvent pas rendre leur opinion probable? Je ne me contente pas du probable, lui dis-je, je cherche le sûr. Je vois bien, me dit le bon Père, que vous ne savez pas ce que c'est que la doctrine des opinions probables, vous parleriez autrement si vous la saviez. Ah! vraiment, il faut que je vous en instruise. Vous n'aurez pas perdu votre temps d'être venu ici, sans cela vous ne pouviez rien entendre. C'est le fondement et l'A B C de toute notre morale. Je fus ravi de le voir tombé dans ce que je souhaitais; et, le lui ayant témoigné, je le priai de m'expliquer ce que c'était qu'une opinion probable. Nos auteurs vous y répondront mieux que moi, dit-il. Voici comme ils en parlent tous généralement, et entre autres, nos vingt-quatre, in princ. ex. 3, n. 8: Une opinion est appelée probable, lorsqu'elle est fondée sur des raisons de quelque considération. D'où il arrive quelquefois qu'un seul docteur fort grave peut rendre une opinion probable. Et en voici la raison: car un homme adonné particulièrement à l'étude ne s'attacherait pas à une opinion, s'il n'y était attiré par une raison bonne et suffisante. Et ainsi, lui dis-je, un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré, et toujours en sûreté. Il n'en faut pas rire, me dit-il, ni penser combattre cette doctrine. Quand les jansénistes l'ont voulu faire, ils ont perdu leur temps. Elle est trop bien établie. Ecoutez Sanchez, qui est un des plus célèbres de nos Pères, Som. Liv. I, chap. IX, n. 7: Vous douterez peut-être si l'autorité d'un seul docteur bon et savant rend