Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/55

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a agi pour tous avec une pareille charité, depuis les plus grands jusques aux moindres; et vous m'engagez, pour vous le montrer, à vous dire nos maximes touchant les valets.

Nous avons considéré, à leur égard, la peine qu'ils ont, quand ils sont gens de conscience, à servir des maîtres débauchés; car s'ils ne font tous les messages où ils les emploient, ils perdent leur fortune; et s'ils leur obéissent, ils en ont du scrupule. C'est pour les en soulager que nos vingt-quatre Pères, tr. 7, ex. 4, n. 223, ont marqué les services qu'ils peuvent rendre en sûreté de conscience. En voici quelques-uns: Porter des lettres et des présents; ouvrir les portes et les fenêtres; aider leur maître à monter à la fenêtre, tenir l'échelle pendant qu'il y monte: tout cela est permis et indifférent. Il est vrai que pour tenir l'échelle il faut qu'ils soient menacés plus qu'à l'ordinaire, s'ils y manquaient; car c'est faire injure au maître d'une maison d'y entrer par la fenêtre.

Voyez-vous combien cela est judicieux? Je n'attendais rien moins, lui dis-je, d'un livre tiré de vingt-quatre Jésuites. Mais, ajouta le Père, notre P. Bauny a encore bien appris aux valets à rendre tous ces devoirs-là innocemment à leurs maîtres, en faisant qu'ils portent leur intention non pas aux péchés dont ils sont les entremetteurs, mais seulement au gain qui leur en revient. C'est ce qu'il a bien expliqué dans sa Somme des péchés, en la page 710 de la première impression: Que les confesseurs, dit-il, remarquent bien qu'on ne peut absoudre les valets qui font des messages déshonnêtes, s'ils consentent aux péchés de leurs maîtres; mais il faut dire le contraire, s'ils le font pour leur commodité temporelle. Et cela est bien facile à faire, car pourquoi s'obstineraient-ils à consentir à des péchés dont ils n'ont que la peine?

Et le même P. Bauny a encore établi cette grande maxime en faveur de ceux qui ne sont pas contents de leurs gages; c'est dans sa Somme, pages 213 et 214 de la sixième édition: Les valets qui se plaignent de leurs gages peuvent-ils d'eux-mêmes les croître en se garnissant les mains d'autant de bien appartenant à leurs maîtres, comme ils s'imaginent en être nécessaire pour égaler les dits gages à leur peine? Ils le peuvent en quelques rencontres, comme lorsqu'ils sont si pauvres en cherchant condition, qu'ils ont été obligés d'accepter l'offre qu'on leur a faite, et que les autres valets de leur sorte gagnent davantage ailleurs.

Voilà justement, mon Père, lui dis-je, le passage de Jean d'Alba. Quel Jean d'Alba? dit le Père. Que voulez-vous dire? Quoi! mon Père, ne vous souvenez-vous plus de ce qui se passa en cette ville l'année 1647? Et où étiez-vous donc alors? J'enseignais, dit-il, les cas de conscience dans un de nos collèges assez éloigné de Paris. Je vois donc bien, mon Père, que vous ne savez pas cette histoire; il faut que je vous la die. C'était une personne d'honneur qui la contait l'autre jour en un lieu où j'étais. Il nous disait que ce Jean d'Alba, servant vos Pères du Collège de Clermont de la rue Saint-Jacques, et n'étant pas satisfait de ses gages, déroba quelque chose pour se récompenser; que vos Pères s'en étant aperçus le firent mettre en prison, l'accusant de vol domestique; et que le procès en fut rapporté au Châtelet le sixième jour d'avril 1647, si j'ai bonne mémoire, car il nous marqua toutes ces particularités-là, sans quoi à peine l'aurait-on cru. Ce malheureux, étant interrogé, avoua qu'il avait pris quelques plats d'étain à vos Pères; mais il soutint qu'il ne les avait pas volés pour cela, rapportant pour sa justification cette doctrine du P. Bauny, qu'il présenta aux juges avec un écrit d'un de vos Pères, sous lequel il avait étudié les cas de conscience; qui lui avait appris la même chose. Sur quoi M.