Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un rosaire, ou bien une image de la Vierge. Ce sont là les dévotions des pages 14, 326 et 447. Et puis dites que je ne vous fournis pas des dévotions faciles pour acquérir les bonnes grâces de Marie, comme dit le Père Barry, page 106. Voilà, mon Père, lui dis-je, l’extrême facilité. Aussi, dit-il, c’est tout ce qu’on a pu faire, et je crois que cela suffira ; car il faudrait être bien misérable pour ne vouloir pas prendre un moment en toute sa vie pour mettre un chapelet à son bras, ou un rosaire dans sa poche, et assurer par là son salut avec tant de certitude, que ceux qui en font l’épreuve n’y ont jamais été trompés, de quelque manière qu’ils aient vécu, quoique nous conseillions de ne laisser pas de bien vivre. Je ne vous en rapporterai que l’exemple de la page 34 d’une femme qui, pratiquant tous les jours la dévotion de saluer les images de la Vierge, vécut toute sa vie en péché mortel, et mourut enfin dans cet état, et qui ne laissa pas d’être sauvée par le mérite de cette dévotion. Et comment cela ? m’écriai-je. C’est, dit-il, que Notre-Seigneur la fit ressusciter exprès. Tant il est sûr qu’on ne peut périr quand on pratique quelqu’une de ces dévotions.

En vérité, mon Père, je sais que les dévotions à la Vierge sont un puissant moyen pour le salut, et que les moindres sont d’un grand mérite, quand elles partent d’un mouvement de foi et de charité, comme dans les saints qui les ont pratiquées. Mais de faire accroire à ceux qui en usent sans changer leur mauvaise vie, qu’ils se convertiront à la mort, ou que Dieu les ressuscitera, c’est ce que je trouve bien plus propre à entretenir les pécheurs dans leurs désordres, par la fausse paix que cette confiance téméraire apporte, qu’à les en retirer par une véritable conversion que la grâce seule peut produire. Qu’importe, dit le Père, par où nous entrions dans le Paradis, moyennant que nous y entrions ? comme dit sur un semblable sujet notre célèbre P. Binet, qui a été notre Provincial, en son excellent livre De la marque de Prédestination, n. 31, p. 130 de la quinzième édition. Soit de bond ou de volée, que nous en chaut-il, pourvu que nous prenions la ville de gloire ? comme dit encore ce Père au même lieu. J’avoue, lui dis-je, que cela n’importe ; mais la question est de savoir si on y entrera. La Vierge, dit-il, en répond : voyez-le dans les dernières lignes du livre du P. Barry : S’il arrivait qu’à la mort l’ennemi eût quelque prétention sur vous, et qu’il y eût du trouble dans la petite république de vos pensées, vous n’avez qu’à dire que Marie répond pour vous, et que c’est à elle qu’il faut s’adresser.

Mais, mon Père, qui voudrait pousser cela vous embarrasserait ; car enfin qui nous a assuré que la Vierge en répond ? Le P. Barry, dit-il, en répond pour elle, page 465 : Quant au profit et bonheur qui vous en reviendra, je vous en réponds, et me rends pleige pour la bonne Mère. Mais, mon Père, qui répondra pour le P. Barry ? Comment ! dit le Père, il est de notre Compagnie. Et ne savez-vous pas encore que notre Société répond de tous les livres de nos Pères ? Il faut vous apprendre cela ; il est bon que vous le sachiez. Il y a un ordre dans notre Société, par lequel il est défendu à toutes sortes de Libraires d’imprimer aucun ouvrage de nos Pères sans l’approbation des théologiens de notre Compagnie, et sans la permission de nos supérieurs. C’est un règlement fait par Henri III, le 10 mai 1583, et confirmé par Henri IV, le 20 décembre 1603, et par Louis XIII, le 14 février 1612 : de sorte que tout notre corps est responsable des livres de chacun de nos Pères. Cela est particulier à notre Compagnie ; et de là vient qu’il ne sort aucun ouvrage de chez nous qui n’ait l’esprit de la Société. Voilà ce qu’il était à propos de vous apprendre. Mon Père, lui dis-je, vous m’avez fait plaisir, et je suis fâché seulement de ne l’avoir pas su plus tôt, car cette connaissance engage à