de charité quand on découvre les maximes nuisibles à la religion, et qu’ils croient au contraire qu’on manquerait de charité, si on ne leur découvrait pas les choses nuisibles à leur santé et à leur vie, sinon parce que l’amour qu’ils ont pour la vie leur fait recevoir favorablement tout ce qui contribue à la conserver, et que l’indifférence qu’ils ont pour la vérité fait que non seulement ils ne prennent aucune part à sa défense, mais qu’ils voient même avec peine qu’on s’efforce de détruire le mensonge ?
Qu’ils considèrent donc devant Dieu combien la morale que vos casuistes répandent de toutes parts est honteuse et pernicieuse à l’Église ; combien la licence qu’ils introduisent dans les mœurs est scandaleuse et démesurée ; combien la hardiesse avec laquelle vous les soutenez est opiniâtre et violente. Et s’ils ne jugent qu’il est temps de s’élever contre de tels désordres, leur aveuglement sera aussi à plaindre que le vôtre, mes Pères, puisque et vous et eux avez un pareil sujet de craindre cette parole de saint Augustin sur celle de Jésus-Christ dans l’Evangile : Malheur aux aveugles qui conduisent ! malheur aux aveugles qui sont conduits ! voe coecis ducentibus ! voe coecis sequentibus !
Mais afin que vous n’ayez plus lieu de donner ces impressions aux autres, ni de les prendre vous-mêmes, je vous dirai, mes Pères (et je suis honteux de ce que vous m’engagez à vous dire ce que je devrais apprendre de vous), je vous dirai donc quelles marques les Pères de l’Église nous ont données pour juger si les répréhensions partent d’un esprit de piété et de charité, ou d’un esprit d’impiété et de haine.
La première de ces règles est que l’esprit de piété porte toujours à parler avec vérité et sincérité ; au lieu que l’envie et la haine emploient le mensonge et la calomnie : splendentia et vehementia, sed rebus veris, dit saint Augustin. Quiconque se sert du mensonge agit par l’esprit du diable. Il n’y a point de direction d’intention qui puisse rectifier la calomnie : et quand il s’agirait de convertir toute la terre, il ne serait pas permis de noircir des personnes innocentes ; parce qu’on ne doit pas faire le moindre mal pour en faire réussir le plus grand bien, et que la vérité de Dieu n’a pas besoin de notre mensonge, selon l’Ecriture. Il est du devoir des défenseurs de la vérité, dit saint Hilaire, de n’avancer que des choses vraies. Aussi, mes Pères, je puis dire devant Dieu qu’il n’y a rien que je déteste davantage que de blesser tant soit peu la vérité ; et que j’ai toujours pris un soin très particulier non seulement de ne pas falsifier, ce qui serait horrible, mais de ne pas altérer ou détourner le moins du monde le sens d’un passage. De sorte que, si j’osais me servir, en cette rencontre, des paroles du même saint Hilaire, je pourrais bien vous dire avec lui : Si nous disons des choses fausses, que nos discours soient tenus pour infâmes ; mais si nous montrons que celles que nous produisons sont publiques et manifestes, ce n’est point sortir de la modestie et de la liberté apostolique de les reprocher.
Mais ce n’est pas assez, mes Pères, de ne dire que des choses vraies, il faut encore ne pas dire toutes celles qui sont vraies, parce qu’on ne doit rapporter que les choses qu’il est utile de découvrir, et non pas celles qui ne pourraient que blesser sans apporter aucun fruit. Et ainsi, comme la première règle est de parler avec vérité, la seconde est de parler avec discrétion. Les méchants, dit saint Augustin, persécutent les bons en suivant l’aveuglement de la passion qui les anime ; au lieu que les bons persécutent les méchants avec une sage discrétion : de même que les chirurgiens considèrent ce qu’ils coupent, au lieu que les meurtriers ne regardent point où ils frappent. Vous savez bien, mes Pères, que je n’ai pas rapporté, des maximes de vos auteurs, celles qui vous auraient été les plus sensibles, quoique j’eusse pu le faire, et même sans pécher contre la discrétion, non plus que de savants hommes et très catholiques, mes Pères, qui l’ont fait autrefois ; et tous ceux qui ont