Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/202

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doublement : dans sa puissance politique, en frappant ses législateurs ; et dans sa puissance morale, en frappant ses écrivains.

Ce ne fut d’abord, dans toute la partie bourgeoise de la population, qu’une stupeur morne. Banquiers, commerçants, manufacturiers, imprimeurs, hommes de robe, journalistes, s’abordaient avec étonnement. Dans cette soudaine interdiction de la liberté d’écrire, dans cette altération profonde et hardie du régime électif, dans ce renversement de toutes les lois en vertu d’un article obscur, il y avait une sorte de provocation hautaine dont on fut généralement étourdi. Tant d’audace supposait la force.

Par une assez triste bizarrerie, cette révolution qui devait faire tomber la couronne dans le greffe, commença précisément par une consultation d’avocats. A la première nouvelle des ordonnances, plusieurs coururent, suivis de quelques jurisconsultes, chez M. Dupin aîné. Ils voulaient savoir s’il n’y aurait pas moyen de publier les journaux sans autorisation, et jusqu’à quel point une semblable audace serait couverte par la protection des juges et par celle des lois. Là, se dessinèrent quelques hommes destinés à un rôle applaudi. A côté de M. de Remusat qui montrait une fermeté réfléchie, M. Barthe semblait plongé dans une sorte d’ivresse morale qu’il exhalait en paroles ardentes et juvéniles. Assis un peu à l’écart, M. Odilon barrot feuilletait un code d’un air distrait, mais son trouble paraissait dans l’altération de son visage. Quant à M. Dupin, habile à cacher sous une affection de rudesse la pusillanimité de son cœur, il ne refusait