Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veille en avait interdit la publication, ne faisait qu’irriter la curiosité. On les jetait par centaines dans les cafés, dans les cabinets de lecture, dans les restaurants. Des journalistes couraient, pour les lire et les commenter, d’atelier en atelier, de boutique en boutique. On vit des hommes d’une mise soignée, de mœurs et de manières élégantes, monter sur des bornes, et se faire professeurs de l’émeute, tandis que des étudiants, attirés du fond de leur quartier par ce besoin d’émotions naturel à la jeunesse, parcouraient les rues, armés de cannes, agitant leurs chapeaux et criant : Vive la Charte !

Lancés au milieu d’un mouvement qu’ils ne pouvaient comprendre, les hommes du peuple regardaient toutes ces choses avec surprise ; mais, cédant peu à peu à l’action de ce fluide qui se dégage de toute agitation forte, ils imitaient les bourgeois, couraient de côté et d’autre d’un air effaré, et criaient à leur tour : Vive la Charte !

Parmi les fauteurs de la sédition, il y en eut qui tremblèrent d’avoir trop fait. Ce qui ne devait être qu’une démonstration propre à ramener la royauté en l’effrayant, ne pouvait-il pas devenir un ébranlement au bout duquel seraient le pillage, et la dictature de quelques tribuns, plus redoutable encore que celle d’un roi ? Y avait-il prudence à réveiller toutes les passions endormies au fond d’une société sans lien ? Quelques maîtres d’ateliers retinrent donc leurs ouvriers. D’autres, plus hardis, les renvoyèrent en leur disant : « Nous n’avons plus de pain à vous donner. » Bientôt les imprimeries furent désertes, et les rues inondées.