Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/194

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Benjamin Constant était mort de misère, presque de faim.

C’était un homme d’une intelligence singulièrement vigoureuse, d’un tempérament débile et d’un cœur froid. La rectitude de son jugement le conduisait à la haine de l’injustice, et par l’esprit il pouvait s’élever jusqu’à la passion ; mais il déployait rarement de l’énergie, parce qu’elle ne lui était nécessaire ni pour flétrir un abus, ni pour frapper mortellement un ennemi. Habile à tourner les difficultés, possédant toutes les ressources du langage, familier avec les artifices les plus subtils de la pensée, il distillait sans effort le venin caché dans sa bonhomie, se jouant avec une égale complaisance de ses adversaires et des obstacles. Il avait montré dans Adolphe l’art du romancier ; dans son livre sur la religion, la science de l’homme d’état ; et la souplesse de son talent semblait l’avoir déterminé dans le choix de ses doctrines. Le régime constitutionnel ne vit que de fictions, de balancements, et, par les complications qu’il fait naître, il donne aux natures déliées l’avantage sur les âmes fortes et simples. Il avait dû par cela même séduire Benjamin Constant. Et en effet, par ses idées, par ses sentiments, par le tour de son esprit, par la légèreté de ses mœurs, par son culte pour Voltaire, par ses habitudes frondeuses, il appartenait à cette école anglaise et protestante dont Mounier fut l’orateur, Necker le financier, madame de Staël l’héroïne, et dont l’empereur Alexandre, élevé par Laharpe, devint un adepte. Les doctrines de cette école, Benjamin Constant sut les formuler avec une incompa-