Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/332

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Laffitte avec cette familiarité naïve qui lui était ordinaire ; il consola doucement l’ami, et parut pénétré du désir de conserver le ministre. Puis, comme s’il eut été entièrement étranger à cette politique dont M. Laffitte blâmait la direction, il l’engagea à s’en expliquer avec ses collègues. C’est ce que fit M. Laffitte dans une réunion qui eut lieu le 9 mars. Mais déjà tout était préparé pour un changement de cabinet. M. Casimir Périée jugeait que son heure était venue, et M. Bouvier-Dumolard avait sur ce point reçu ses confidences. M. Laffitte fut accueilli froidement par ses collègues. Il comprit bien alors tout ce qu’il avait livré en livrant son pays, et il se retira des affaires, le cœur à jamais blessé.

Ainsi tomba ce ministère qu’une révolution avait enfanté. La dépêche cachée au président du conseil fut le prétexte et non la cause de sa retraite. M. Laffitte tomba parce que les services qu’il pouvait rendre à la nouvelle dynastie étaient epuisés. Et comment se serait-il maintenu ? D’une part, si ses sentiments le portaient vers le peuple, ses opinions l’en éloignaient ; de l’autre, l’amitié d’un roi était pour sa sensibilité une épreuve trop dangereuse. M. Laffitte avait une haute capacité financière, un esprit pénétrant, une facilité d’élocution remarquable, une bienveillance remplie de grâce et d’élévation. Il joignait, chose rare, à la science des affaires des connaissances littéraires fort étendues. Dans un autre milieu et sous d’autres influences, il aurait pu rendre les plus grands services à son pays. Mais, partagé entre le soin de cultiver sa popula-