Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bataillons se précipitent au-devant de l’ennemi sans ordre, sans ensemble. Désespéré, Skrzynecki courait ventre à terre d’une colonne à l’autre en criant : à moi Rybinski ! à moi Malachowski ! En avant ! en avant tous !… Lui-même, son habit troué de balles, il s’élance vers le pont par où débouchent à chaque instant de nouvelles masses, et prenant successivement ses bataillons, il les engouffre un à un dans la mêlée. Les généraux donnent l’exemple ; Langermann, Pac, Muchowski, Prondzynski, exécutent des charges furieuses, mais inutiles : l’artillerie polonaise n’a bientôt plus de munitions ; la seule batterie du colonel Bem porte la mort dans les rangs ennemis. On se bat corps à corps, à coups de sabre et de faulx. Une sorte de délire s’empare des Polonais. On voit des centaines d’officiers se ruer au premier rang, l’épée à la main, en chantant la Varsovienne. Les lanciers veulent charger à leur tour, et le généralissime les pousse à bride abattue ; mais leurs chevaux vont s’enfoncer jusqu’au poitrail dans un terrain vaseux, et ils sont exterminés sans combattre.

La nuit tombait, le champ de bataille n’était plus qu’un immense cimetière. Skrzynecki était parvenu à empêcher l’armée russe de passer tout entière sur la rive droite. Il restait maître du terrain. Mais il lui en avait coûté 7000 hommes. Les généraux Kicki et Kaminski étaient morts. 270 officiers avaient péri. Les Russes repassèrent la Narew dans la nuit, ayant perdu plus de 10,000 hommes. Le généralissime polonais ordonna la retraite sur Varsovie, et montant en voiture avec Prondzynski, il répétait