Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/231

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guenilles, toujours prête à pactiser avec la mort, ne sachant enfin ni se commander à elle-même ni faire durer ses triomphes. Comment un tel spectacle n’aurait-il pas ému outre-mesure le poète des rêveries, poète si calme et si doux, qu’il fut presque une lyre ? Comment tant d’hymnes chantés à la destruction n’auraient-ils pas jeté quelque trouble dans cette âme harmonieuse ? Mais sur les hommes supérieurs le mensonge des dehors n’exerce que passagèrement son influence. Sans peine ils aperçoivent la marche. des grandes idées à travers les manifestations, souvent pleines de désordre, qui, tout en les obscurcissant, les annoncent. Ce n’est point, d’ailleurs, pour les vertus qu’il possède qu’on peut aimer le peuple : on doit l’aimer vicieux et grossier, on doit l’aimer pour les vertus qu’il n’a pas, et qu’il aurait certainement si on ne lui eut ravi sa part d éducation et mesuré d’une manière inique son droit au bonheur. M. de Lamartine était chrétien par les entrailles : ce sentiment de justice envers le peuple n’avait donc rien de trop élevé pour lui. Et puis, comme tous les esprits véritablement doués de force et de grandeur, il était homme à comprendre que ceux-là seuls méritent l’empire, qui sont soulevés et portés par l’acclamation publique ; qu’il y a folie dans la consécration de tout privilége qui donne pour pasteurs aux peuples les élus du hasard, et que l’impiété est grande de livrer le gouvernement des choses humaines à la sottise ou à la bassesse. Malheureusement, M. de Lamartine avait une mobilité d’impressions qui mettait en garde contre lui les cœurs soupçonneux.