Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/347

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gouverner l’émotion : « Eh bien, soit, Messieurs, dit le roi, j’aviserai. » Et le Cabinet se trouva dissous.

Quelques heures après, les ministres sortants se réunissaient à table chez M. de Rigny, où l’on eût dit qu’ils s’étaient rendus pour fêter leur retraite. Confiant dans sa jeunesse, dans son talent, dans sa fortune, dans le besoin qu’on aurait tôt ou tard des ressources variées de son esprit, M. Thiers était tout entier à la joie de se sentir délivré d’une situation épineuse. M. Guizot, lui aussi, avait la figure épanouie, incapable qu’il était de laisser percer le regret du pouvoir, à supposer qu’il en fut atteint. Remplis du sentiment de leur supériorité, les ministres sortants n’imaginaient pas qu’il fut facile.de les remplacer, et ils jouissaient intérieurement des embarras qui allaient assaillir la royauté. Les heures du repas s’écoulèrent en joyeux propos, d’où la politique était bannie. Une joie décente, mais ironique au fond, rayonnait dans les discours, dans les regards de tous les convives. Seul, M. Persil était silencieux et sombre. En sortant, il s’ouvrit à M. Thiers de la surprise que lui causait une conduite qui semblait narguer le monarque. Bientôt, par lui, – ce fut, du moins, l’opinion de ses collègues, — La scène du dîner s’ébruita au château, et, suivant l’usage, le récit, en passant de bouche en bouche, s’altéra, se grossit, fut envenimé jusqu’à devenir, pour la famille royale, le sujet d’une indignation bruyante. A son tour, M. de Rigny ouvrit son cœur à un ressentiment profond ; et ayant rencontré M. Persil aux Tuileries, il affecta de lui tourner le dos d’une