Page:Blanc - Histoire de la révolution française, 1878, tome 1.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

turel craintif ; que ce tribun était un joueur de luth, un rêveur, un poète ; que ses grossiers transports, ses colères, admettaient de mélancoliques retours ; qu’il était sujet à d’étranges doutes, à des abattements d’une profondeur effrayante ; que mille puissances contraires se disputaient son âme fatiguée, âme tumultueuse et tendre, formée de violence et d’amour ! D’ailleurs, quelle avait été sa vie jusqu’alors ? Une vie partagée entre les soucis de l’écolier mendiant et les préjugés du moine. Jeune, il allait de porte en porte tendant la main et obtenant l’aumône par des chansons. Plus tard, sur la route de Mansfeld à Erfurt, un orage l’ayant assailli, il eut peur, tomba la face contre terre, et jura de se faire moine, s’abandonnant ainsi au Dieu terrible qu’il avait senti dans le ciel embrasé. Son entrée dans le cloître silencieux et sombre à jamais, ses défaillances, ce qu’il tenta pour échapper aux désirs qui rongent, sa piété amère, ses épouvantes, les spectres qui descendaient dans sa cellule avec l’ombre du soir, c’est ce qu’il a décrit lui-même en termes d’une naïveté terrible.

Il faut remarquer aussi que le victorieux dénonciateur de tant de superstitions catholiques, que le précurseur du rationalisme, que Luther enfin, était superstitieux à l’excès et plus naïvement crédule qu’aucun homme de son temps. Sorcières se donnant rendez-vous, le lendemain de la fête de Noël, dans un endroit où quatre chemins se croisent, et tenant, après le coucher du soleil, des assemblées sinistres ; moines accompagnés, le long d’une route inconnue, par l’esprit des ténèbres sous les dehors d’un homme armé ; voix de l’enfer montant dans le silence de minuit, voilà de quels récits Luther entretenait ses auditeurs charmés, voilà de quelles croyances il nourrissait son imagination malade[1]. Mais c’était du démon, surtout, que Luther affirmait et redoutait l’empire. Dans la solitude de ces nuits de trouble où il préparait la ruine du monde ancien, souvent il vit se dresser autour de

  1. Propos de table, traduits par Gustave Brunet, part. I.