Page:Blanc - Histoire de la révolution française, 1878, tome 1.djvu/46

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en ce révolutionnaire, le moine resta. Dans un livre qu’il publiait quelques, mois après la dispute de Leipzig, et que tant d’auteurs, trompés par le titre, ont pris pour la charte d’affranchissement du genre humain, dans l’écrit intitulé de la Liberté chrétienne, Luther soutint que la vie de l’homme étant un combat entre la chair et l’esprit, la liberté du chrétien devait être toute spirituelle et intérieure. « Que sert à l’âme, disait-il, que le corps se porte bien, qu’il soit libre et vivace, qu’il mange, qu’il boive, qu’il agisse à son gré ? N’est-ce point là le partage même des esclaves du crime ? Et, d’un autre côté, quel obstacle opposent à l’âme la mauvaise santé, la captivité ou la faim, ou la soif, ou le mal extérieur, quel qu’il soit ? Est-ce que les hommes les plus pieux, les plus libres par la pureté de la conscience ne sont pas sujets à tout cela[1] ? »

Ainsi, Luther semblait prendre son parti de l’asservissement d’une moitié de l’homme, et se montrait prêt à laisser en dehors de sa révolte tout le côté matériel de l’humanité. Ce fut, entre les erreurs de ce tribun mystique, la plus profonde et la plus fatale.

L’âme et le corps sont unis par des liens qu’il y a folie et cruauté à méconnaître. L’esprit s’énerve dans un corps flétri ; et si le corps s’accoutume à fléchir, tôt ou tard l’âme s’abaissera. Sans doute il en est qui restent libres dans un cachot et sont rois sous des haillons : on en a vu qui mouraient debout ; mais le nombre est bien petit de ces hommes au cœur puissant, et l’héroïsme est d’autant moins nécessaire que les sociétés sont moins imparfaites. Pourquoi l’homme n’arriverait-il pas, de progrès en progrès, à voir se réaliser au dedans de lui-même cette divine loi d’harmonie qui maintient la paix des mondes, régulièrement emportés dans le silence des cieux ? Alors peut-être cesserait ce gémissement des misérables humains qui, depuis l’origine et toujours inutilement, monte vers Dieu à travers

  1. « Quid enim prodesse queat animæ ? » De Libertate chirstiana. Omn. oper. Lutheri, t, I,p. 387, B.