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un sauf-conduit[1]. Il l’obtint, à la sollicitation de Frédéric. Et le plus puissant monarque de la terre à cette époque, Charles-Quint, écrivit à un moine naguère obscur et maintenant excommunié : « A notre honorable, cher et dévot docteur, Martin Luther, de l'ordre des Augustins[2]. »

Le 2 avril 1521, Luther partit de Wittemberg pour se rendre à Worms, monté sur un char recouvert d’une toile, tel qu’en avaient alors les Allemands[3]. Près de lui se tenaient, l’enveloppant de leur courageuse amitié, Amsdorf, Schurf et Suaven. Simple moine, il était précédé par un héraut portant l’aigle de l’empire[4]. Il marqua dans la vie du réformateur, ce voyage. Luther y éprouva, dans ce qu’elle a de plus intime, l’exaltation douloureuse que donne la majesté de certains périls. A Erfurt, il fut pris de mélancolie, en apercevant le cloître où s’était flétrie, dans de solitaires combats, la fleur de ses vives années : or, comme le jour baissait, il alla s’asseoir au pied d’une croix de bois, sur une pierre qui recouvrait des cendres aimées, et là il s’oublia en de telles rêveries, que, la nuit venue, il n’entendit pas la cloche du couvent, qui appelait au repos. Sur ses pas, du reste, semblaient accourir et se presser, le long de la route, de tristes fantômes. Ici, on lui mettait sous les yeux le portrait du martyr florentin Savonarole ; ailleurs, on lui rappelait la tragique histoire d’un sauf-conduit violé, et Sigismond, et Jean Huss[5]. Traversant une ville, il entendit crier par les rues la condamnation de ses livres. Mais, quoique malade, il s’était promis d’aller jusqu’au bout. « Nous entrerons dans Worms, disait-il, malgré les portes de l’enfer et les puissances de l’air[6]. » On montre, à quelque distance de Worms, un arbre qu’un paysan était en train de

  1. Omn. oper Lutheri, t.I, p. 148.
  2. « Honorabili nostro dilecto, devoto doctori, Martino Luthero, Augustiniani « ordinis. » Omn. oper. Lutheri, t. II, p. 411, B.
  3. Seckendorf, Comment, de Lutheranismo, lib. I, p. 152.
  4. « Viti Warbeccii relalio, apud Seckendorf, t.I, lib.I, p. 153.
  5. Sieidan, Hist. de la Réformation, t.I, iiv.III, p. 91.
  6. Seckendorf, Comment, de Lutheranismo ; lib, I, p. 152.