Page:Blanc - L’Organisation du travail, 1850.djvu/169

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n’éclateront pas dans l’analyse de ce qui revient, et au squatter qui a défriché la terre de la Caroline, et à la voile qui pousse le navire de New-York au Havre, et à la machine qui fait tourner dix mille broches ! Est-ce que ce n’est point grâce à l’intervention du capital sous forme de char, de chevaux, de rails, de locomotive, que tel ouvrier peut faire en un jour ce qu’il n’aurait pas fait sans cela en deux mois ? Est-ce que ce n’est pas au capital, en un mot, que l’espèce humaine est redevable de la collaboration gratuite de la nature ?

Ainsi parle M. Bastiat, ainsi parlent les économistes. Mais plaisante serait leur erreur s’ils croyaient par là nous apprendre quelque chose de bien nouveau. Quand ils auront affirmé qu’on obtient de plus grands résultats avec une charrue que sans charrue, avec une scie que sans scie, avec une route que sans route, avec des approvisionnements que sans approvisionnements, etc., ils peuvent tenir pour certain que nous n’aurons garde d’y contredire, ou, plutôt, c’est de ces incontestables vérités que nous nous armerons contre eux. Oui, le capital est fécond, oui, le capital est nécessaire. Pourquoi donc préférer à un régime qui le mettrait à la disposition de tous un régime qui le met à la merci de quelques-uns ? Dans son fameux livre sur la Législation et le Commerce des grains, Necker suppose quelques hommes trouvant moyen de s’approprier i’air comme d’autres se sont approprié le sol ; puis il les représente imaginant des tubes, inventant des pompes pneumatiques, qui leur permettraient de raréfier l’air ici, de le condenser ailleurs… À merveille ! Les voilà disposant de la respiration du genre humain. Or, que penser de leur logique, si, pour prouver la légitimité de l’intérêt perçu par eux sur chaque portion d’air respirable. ils faisaient observer que l’air est au suprême degré bienfaisant et nécessaire, que sans l’air on ne respirerait pas et que sans respiration l’on ne vivrait pas, que par conséquent on ne saurait trop leur payer l’usage de cette faculté précieuse : respirer, vivre ?

On voit en quoi consiste le sophisme qui sert de base à tous les raisonnements de M. Bastiat. Ce sophisme consiste à confondre perpétuellement l’utilité du capital avec ce que j’appellerai le capitalisme, c’est-à-dire l’appropriation du capital par les uns, à l’exclusion des autres.