Page:Blanc - L’Organisation du travail.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
DU TRAVAIL.

n’est pas seulement l’exploitation d’un livre par les héritiers de l’auteur qui est funeste, mais bien l’exploitation du livre par l’auteur lui-même.

En effet, on arrive par là à établir que, dans la société, une idée doit être matière à échange, tout comme une balle de coton ou un pain de sucre, et que les bénéfices du penseur se doivent calculer sur le nombre de ceux qui profitent de sa pensée.

D’une part, cela est absurde ; de l’autre, cela est inique.

Car qui peut savoir de quelle manière la pensée arrive jusqu’à l’intelligence de chacun ? Recueillie dans un livre, une idée passe sur la palette du peintre ; le crayon du dessinateur s’en empare ; le ciseau du statuaire la taille dans le marbre ; elle vole sur l’aile du discours : la poursuivrez-vous à travers des manifestations qui sont infinies, à travers des espaces qui sont incommensurables ? Le monde peut devenir son domaine : le monde deviendra-t-il votre tributaire ? Ici, vous touchez à l’impossible ; encore un pas vous touchez à l’injustice. Les bénéfices de l’échange auront été pour tous ; l’impôt ne sera prélevé que sur quelques-uns. Je vous dois le prix de votre pensée pour l’avoir recueillie dans un livre : je ne vous dois rien, si je l’ai saisie sur les lèvres d’un orateur, si je l’ai vue sculptée sur la façade d’un