« Est-il juste, est-il utile, est-il possible de consacrer entre les mains des écrivains et de leurs familles la propriété de leurs œuvres ? Voilà les trois questions que nous avions à nous poser sur le principe même de la loi, formulé dans ses premiers articles. Ces questions n’étaient-elles pas résolues d’avance ? Qu’est-ce que la justice, si ce n’est la proportion entre la cause et l’effet, entre le travail et la rétribution ? »
Acceptons cette définition de la justice. Si elle est exacte, il est clair que rien n’est plus souverainement injuste que de placer dans le droit de propriété littéraire la rémunération des travaux de l’esprit.
Que Laplace n’ait d’autre récompense matérielle de ses écrits que le droit d’en disposer et de les vendre : comme un ouvrage sur la Mécanique céleste s’adresse naturellement à un fort petit nombre de lecteurs, quelle proportion y aura-t-il entre le travail et la rétribution de Laplace ? Mais voici un romancier qui noircit à la hâte quelques pages, non-seulement mauvaises, mais corruptrices, à l’usage de tous les lecteurs désœuvrés. L’homme de génie court grand risque de mourir pauvre, et notre romancier, sans même avoir eu besoin de brûler son huile, aura voiture et laquais. Quelle manière d’entendre la justice distributive ! Mais, direz-vous, l’État prendra l’homme de génie sous son patronage, il lui con-