Aller au contenu

Page:Blandy - L Oncle Philibert.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la jambe ou le pied démanchés en me disant : — Regarde comme c’est biscornu, dérangé, et ne perds pas de l’œil le moindre mouvement que je vais faire pour le rebouter. Alors, moi, je regardais bien, et après je ruminais le tout dans ma tête, je refaisais de mes mains les mêmes mouvements sur n’importe quoi, sur le premier bâton venu ou sur les pattes de mon chien. Même bien des fois, monsieur, étant pâtour aux champs, j’ôtais mes sabots pour tâter mon pied, ma cheville, ma jambe, et sentir au bout de mes doigts comment tous les os y étaient agencés sous la peau dans leur position naturelle. Mon père m’enseignait les noms qu’il donnait aux os et à ces cordes que vous appelez les nerfs ; mais son patois ne ressemblait pas au vôtre, vous ne le comprendriez point, et pour sur vous vous moqueriez. Tant il y a que l’on ne peut montrer, ni dans le bas ni dans le haut pays de Mozat à Clermont-Ferrand, un seul estropié de la façon de mon père ou de la mienne. Mais je ne m’en fais pas accroire pour cela. Sais-je pas bien qu’on est très imparfait quand on ne peut pas prendre connaissance des bonnes recettes qui sont couchées par écrit dans les livres ? C’est à peine si je signe mon nom et si j’épèle ma croix de par Dieu.

— Bah ! s’écria le docteur en tressautant de sa chaise. Et voilà votre fils qui traduit Virgile ? » La figure de Jacques Sauviac prit une expression d’orgueil paternel.

« Ce garçon-là, dit-il en posant sa main calleuse sur la tête frisée de Vittorio, a une autre tête que la mienne ; il aura aussi une autre destinée.

— Avez-vous déjà commencé à l’initier aux connaissances que vous tenez de votre père ?

— Voyons, mon bon monsieur, de ce que je suis un pau-