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Page:Blandy - L Oncle Philibert.djvu/165

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— Pas de danger pour celui-là, répliqua la vieille Boullud en conduisant Mme Chardet sur la terrasse. Il en remontrerait aux poissons de la rivière. C’est né comme dans l’eau ; voyez-vous, nous sommes si près ! Ça marchait à peine que ça barbotait parmi mes canards et mes oies. Défunt mon mari l’a élevé ainsi. Mais on est mère, madame Chardet ; à ne vous rien cacher, quand je le vois jeter sa veste à terre et prendre la gaffe, je me sens le cœur tout barbouillé, et je n’ose pas regarder vers la rivière. Regardez, vous, tout votre content ; maintenant que j’ai tout préparé, je m’en vais prier la bonne Vierge pour qu’il n’arrive de mal à personne. »

Lorsque Mme Chardet se pencha au bord de la terrasse, elle s’aperçut que le drame n’était pas encore terminé. Elle vit au loin, sur le bord de la rivière, la troupe d’enfants qui gesticulait avec effroi ; quelques-uns, vite rhabillés, se sauvaient lâchement par les sentiers des prés ; mais la plupart d’entre eux hélaient le bateau qui arrivait, poussé par le courant et activé par les rames du passeur qui était seul à bord, Sauviac ayant couru à pied le long de la rive.

Ce ne fut là que le spectacle d’une minute. Vers le milieu de la rivière, les eaux décrivirent un large rond, et la tête brune de Jacques Sauviac en émergea. Le bateau vint tout proche, puis son avant pencha dans l’eau sous la forte pression de la main de Sauviac, qui hissa à bord avec peine un corps d’enfant raidi.

« Ah ! grâce à Dieu, c’est fini ! » s’écria tout haut Mme Chardet, dont l’angoisse redevint plus vive lorsqu’elle vit Sauviac plonger encore, pendant que le passeur frictionnait le noyé tout en observant la rivière.

Le second sauvetage fut plus long, et, dans ces moments, les minutes paraissent des années. Il fut aussi plus difficile ; lorsque Sauviac reparut sur l’eau, une lutte s’engagea