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Page:Blandy - La Benjamine.djvu/45

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ses dents, l’Espagnole restait inerte, n’ayant de vivant dans la figure que ses grands yeux noirs qui ne s’arrêtaient jamais sur nous.

Tante Paule n’avait qu’un seul préjugé, mais il était invincible : c’était sa répulsion pour les choses ou les gens étranges, sortant du moule habituel. Son indulgence l’abandonnait dès qu’elle se trouvait en présence de ce qu’elle nommait une monstruosité. Me voyant émue et prête à me rapprocher de l’étrangère, elle me retint et me dit tout bas :

« Rentre chez toi ; ne reste pas plus longtemps à regarder cette figure de cauchemar, et ferme ta chambre à clé surtout. La charité de mon père nous donne des hôtes bizarres. Cette fille a l’air d’une criminelle ou d’une folle. »

Je n’avais nulle envie de me retirer ; mais les habitudes d’obéissance auxquelles on m’avait pliée l’auraient emporté sur mon désir de rester si grand-père ne m’eût dit en espagnol :

« Anna, viens donc engager cette pauvre petite à se réconforter. Tu seras peut-être plus persuasive que moi. »