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Page:Blandy - Le Petit Roi.djvu/62

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Dans le cercle de lumières produit par trois lampes monumentales, deux tables étaient dressées : l’une grande, l’autre petite, et avant d’avoir remarqué leur aménagement disparate, Suzanne se figura que la seconde était destinée à son couvert et à celui de M. Carlstone.

Comme elle n’avait pas de sot orgueil, il lui était assez indifférent, quant à elle, de n’être pas admise à la table de la comtesse, mais elle était sur le point d’en être piquée à cause du relief d’infériorité que cette mesure lui donnait à l’égard de ses élèves, quand un regard plus attentif lui démontra qu’elle se trompait.

Il n’y avait point de siéges disposés autour de la petite table sur laquelle étaient servis ce qu’on nomme en Russie les agouski, c’est-à-dire les hors-d’œuvre. On devait goûter debout à ces apéritifs disposés sans symétrie apparente. Les poissons fumés y côtoyaient les tranches roses de jambon d’ours ; les fromages crémeux avoisinaient les dernières provisions d’hiver de caviar (œufs d’esturgeon noir) et pour aider à la digestion de ces mets, les grandes fioles de kümel se dressaient autour des flacons d’eau-de-vie de Dantzik dans le fond desquels flottaient de minces débris de feuilles d’or.

Arkadi était déjà là, troublant par ses plaisanteries les domestiques occupés aux derniers apprêts ; il vint baiser la main de sa grand’mère qui, debout près de la table des agouski, regardait alternativement toutes les portes