Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/12

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les blancs et les métis s’exterminaient entre eux, pour empêcher les gens de s’imaginer que l’homme est un animal dont la paix détruit les instincts combatifs. Mais sur tout le reste de la planète les peuples montraient une sagesse exemplaire. Dans le transatlantique même, les passagers, de nationalités très diverses, formaient un petit monde qui avait l’air d’être un fragment de la civilisation future offert comme échantillon à l’époque présente, une ébauche de cette société idéale où il n’y aurait plus ni frontières, ni antagonismes de races.

Un matin, la musique du bord, qui, chaque dimanche, faisait entendre le choral de Luther, éveilla les dormeurs des cabines de première classe par la plus inattendue des aubades. Jules Desnoyers se frotta les yeux, croyant vivre encore dans les hallucinations du rêve. Les cuivres allemands mugissaient la Marseillaise dans les couloirs et sur les ponts. Le garçon de cabine, souriant de la surprise du jeune homme, lui expliqua cette étrange chose. C’était le 14 juillet, et les paquebots allemands avaient coutume de célébrer comme des fêtes allemandes les grandes fêtes de toutes les nations qui fournissaient du fret et des passagers. La république la plus insignifiante voyait le navire pavoisé en son honneur. Les capitaines mettaient un soin scrupuleux à accomplir les rites de cette religion du pavillon et de la commémoration historique. Au surplus, c’était