Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/23

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départir de sa prééminence, à ces ébats de ses compatriotes, sages négociants des ports hanséatiques, qui jouissaient de larges crédits à la Deutsche Bank, ou riches boutiquiers installés dans les républiques de la Plata avec leurs innombrables familles. Lui, il était un capitaine, un guerrier, et, à chaque bon mot qu’il accueillait par un rire dont son épaisse nuque était secouée, il se croyait au bivouac avec des compagnons d’armes. Jules admirait l’hilarité facile dont tous ces hommes étaient doués ; pour rire avec fracas, ils se rejetaient en arrière sur leurs sièges ; et, s’il advenait que l’auditoire ne partageât par cette gaîté violente, le conteur avait un moyen infaillible de remédier au manque de succès :

— On a conté cela au kaiser, disait-il, et le kaiser en a beaucoup ri.

Cela suffisait pour que tout le monde rît à gorge déployée.

Lorsque le paquebot approcha de l’Europe, un flot de nouvelles l’assaillit. Les employés de la télégraphie sans fil travaillaient continuellement. Un soir. Jules, en entrant au fumoir, vit les Allemands gesticuler avec animation. Au lieu de boire de la bière, ils avaient fait apporter du champagne des bords du Rhin. Le capitaine Erckmann offrit une coupe au jeune homme.

— C’est la guerre ! dit-il avec enthousiasme. Enfin c’est la guerre ! Il était temps…

Jules fit un geste de surprise.