Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/321

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Dans les visites que Marcel faisait à Argensola, il eut plusieurs fois l’occasion de rencontrer Tchernoff. En temps ordinaire, il aurait tenu cet homme à distance : le millionnaire était du parti de l’ordre et avait en horreur les fauteurs de révolutions. Le socialisme du Russe et sa nationalité même lui auraient forcément suggéré deux séries d’images déplaisantes : d’un côté, des bombes et des coups de poignard ; de l’autre côté, des pendaisons et des exils en Sibérie. Mais, depuis la guerre, les idées de Marcel s’étaient modifiées sur bien des points : la terreur allemande, les exploits des sous-marins qui coulaient à pic des milliers de voyageurs inoffensifs, les hauts faits des zeppelins qui, presque invisibles au zénith, jetaient des tonnes d’explosifs sur de petites maisons bourgeoises, sur des femmes et sur des enfants, avaient beaucoup diminué à ses yeux la gravité des attentats qui, quelques années auparavant, lui avaient rendu odieux le terrorisme russe. D’ailleurs Marcel savait que Tchernoff avait été en relations, sinon intimes, du moins familières avec Jules, et cela suffisait pour qu’il fît bon visage à cet étranger, qui d’ailleurs appartenait à une nation alliée de la France.

Marcel et Tchernoff parlaient de la guerre. La douceur de Tchernoff, ses idées originales, ses incohérences de penseur sautant brusquement de la réflexion à la parole, séduisirent bientôt le père de Jules, qui ne regretta pas certaines bouteilles prove-