Aller au contenu

Page:Bleu no 001 p 2 L'art monumental.djvu/1

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
L’ART MONUMENTAL.


L’un ne va pas sans l’autre. La nouvelle conscience plastique renferme : Collaboration de tous les arts plastiques pour en arriver, sur la base des rapports d’équilibre à un style monumental pur.

Un style monumental renferme : la division proportionelle de travail des différents arts.

La division proportionelle du travail renferme : que chaque artiste se limite à sa propre sphère d’action.

Cette limitation renferme : expression plastique par les moyens propres à la branche.

La stylisation par les moyens propres à la branche renferme : liberté véritable ; elle dispense par exemple l’architecture de bien des choses qui n’appartiennent pas à son moyen d’expression (par exemple la couleur) et au sujet duquel il aura d’autres conceptions que le peintre des points de vue esthétiques et constructifs.

Ces théories ont été proclamées depuis longtemps par des architectes de valeur, mais en pratique, à part quelques exceptions de vieilles mèthodes demeuraient en viguer ; l’architecte, prenant la place du peintre et du sculpteur, ce qui devait naturellent aboutir aux résultats les plus arbitraires, entre autres à une architecture picturale, sculpturale, c. à. d. destructive.

Chaque art exige l’homme entier, aussi bien l’architecture, que la peinture ou la sculpture. Quand ceci sera de nouveau compris (comme c’était le cas à des époques passées) il pourra être question de développer l’architecture dans le sens du monumental, du style. En même temps se trouvera réduite à néant la conception de l’art appliqué et toute espèce de subordination d’un art à un autre, quel qu’il soit.

Il est heureux que les jeunes artistes de l’architecture non seulement comprennent ceci, mais encore le mettent en pratique.

En ce faisant, ils ne se bornent pas à encourager, mais ils rendent possible la culture de la Maison et en même temps la culture du Monumental.

Depuis que les architectes ne s’amusent plus au jeu capricieux du Baroque, avec ses verrues, la conception du monumental s’est modifiée d’une maniére importante en faveur du sentiment du style.

À travers le cubisme et le futurisme il s’est produit un approfondissement important dans la conception picturale, conception qui est toute en faveur de l’architecture. Principalement par la conquête du plan, par la couleur plate, par l’espace-plan et par le principe des rapports équilibrés.

Notre gestation spirituelle ne nous permet plus de considérer comme étant de la peinture monumentale en harmonie avec l’esprit du temps, quelques figurines peintes sur un mur (avec devises si possible) et n’ayant avec ce mur aucun rapport organique. Représenter ou symboliser n’est pas encore créer. Cela doit etre considéré comme appartenant à une phase de la conscience humaine, une phase d’idéalisme unilatéral, ou l’esprit a peur pour ainsi dire, de s’imprimer en une matiére concréte, telle que forme, couleur, ou proportion de l’un à l’autre.

Un art « monumental » de cet acabit n’est plus en vérité que l’apparence décorative du monumental. Il convenait sans doute à l’architecture efféminée du passé. Dans l’architecture virile de l’avenir, il ne trouvera plus de place.

La « stylisation » de la forme naturelle à la forme ornementale, basée sur l’observation sensorielle des formes naturelles et la multiplication à la maniére de la nature, n’à rien à faire avec l’expression plastique obtenu par des rapports profondément esthétiques.

Avec le progrés de la conception que la notion doit s’exprimer dan la forme et la forme dans le moyen, l’art monumental subit une modification importante. Le caractére illustratif et décoratif doit être rejeté comme étant entiérement en contradiction avec son être qui est de creér, sur le plan constructif, un espace esthétique au moyen de rapports de couleurs.

L’architecture donne une plastique constructive donc fermée par des rapports équilibrés de couleurs plates. En ceci la peinture est neutre vis-à-vis de l’architecture.

L’architecture joint, noue : la peinture dénoue, disjoint.

Une correspondance harmonique ne nait pas par une égalité caractéristique mais justement par une opposition, dans ce rapport complémentaire d’architecture et de peinture, de formes plastiques et de couleurs plates, l’art monumental pur trouve sa base. Non seulement parce que la peinture oppose à ce qui est contructivement fermé ce qui est mobile et ouvert, parce qu’elle oppose la limitation à l’extension, mais elle délivre également la plastique organique fermée de son caractére immuable, en opposant le mouvement à la stabilité. Ce mouvement n’est naturellement pas optique et matériel, il est esthétique et parce qu’esthétique, ce mouvement, qui s’exprime en peinture par rapports de couleurs, doit être contrebalancé par un mouvement contraire. Le caractére neutre de la plastique architecturale y contribue.

Par le développement conséquent de cette collaboration complémentaire de peinture et d’architecture, le but de l’art monumental pourra être atteint, sur une base purement moderne : placer l’homme dans (au lieu de vis-à-vis) l’art plastique et par ce fait l’y faire prendre part.

THEO VAN DOESBURG