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APPEL COMME D’ABUS, 12-20.

reconnaissaient l’abus, ils disaient qu’il avait été mal, nullement et abusivement procédé, statué et ordonné. Dans ce dernier cas, si la cause ressortissait à la juridiction ecclésiastique, ils la renvoyaient à l’archevêque ou évêque dont l’official avait rendu le jugement ou l’ordonnance déclarée abusive, afin d’en nommer un autre, ou au supérieur ecclésiastique si l’ordonnance ou le jugement était émané de l’archevêque ou de l’évêque, ou s’il y avait des raisons d’une suspicion légitime contre lui. (Édit de 1695, art. 37.)

Quand la cause rentrait dans les attributions de l’autorité civile, les parlements la renvoyaient devant la juridiction compétente.

12. Après la Révolution, le décret du 15-24 novembre 1790 apporta de graves modifications à l’ancienne législation. Aux termes des art. 4 et 5 de ce décret, il y avait lieu à l’appel comme d’abus lorsque, dans un arrondissement métropolitain, le métropolitain ou, à son défaut, le plus ancien évêque de l’arrondissement, et, sur le refus de ceux-ci, aucun évêque ne voulait accorder à un évêque élu conformément à la constitution civile du clergé la confirmation canonique ; l’appel devait être porté au tribunal du district du lieu dans lequel était situé le siége épiscopal du prélat nommé. Ces tribunaux jugeaient en dernier ressort. Leur compétence fut étendue à tous les cas d’abus résultant de la violation des règles de la constitution. (Voy. le jugement du tribunal du district de Moulins, du 20 mars 1793, et Cass. 20 juillet 1793.)

CHAP. II. — LÉGISLATION ACTUELLE.

13. En rétablissant l’exercice du culte catholique en France, le Gouvernement, voulant à la fois sauvegarder l’ordre public et protéger les ministres de ce culte, reconnut la nécessité de conserver les appels comme d’abus ; mais il crut devoir changer le mode d’instruction et de décision, en les soumettant au Conseil d’État, en substituant les formes administratives aux formes judiciaires.

14. Suivant l’art. 6 de la loi du 18 germinal an X, il peut y avoir recours au Conseil d’État dans tous les cas d’abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Les cas d’abus sont : 1o l’usurpation ou l’excès de pouvoir ; 2o la contravention aux lois et règlements de l’État ; 3o l’infraction des règles consacrées par les canons reçus en France ; 4o l’attentat aux libertés, franchises et coutumes de l’Église gallicane ; 5o toute entreprise ou tout procédé qui, dans l’exercice du culte, peut compromettre l’honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scandale public.

15. Les dispositions de cet art. 6, sauf le 5e cas, sont empruntées à l’ancienne législation (voy. suprà, no 6) et rédigées dans le même esprit ; on en a souvent critiqué les termes trop vagues, trop absolus. M. Portalis, dans son rapport sur les articles organiques, fait observer que le clergé a plusieurs fois réclamé la fixation précise des cas d’abus ; que notamment, en 1605, le roi Henri IV lui avait répondu qu’il n’était pas possible de régler et de définir plus particulièrement ce qui provient de causes si générales ; que la loi du 18 germinal an X, en se bornant à indiquer les sources principales des moyens de recours, s’était conformée à la doctrine de tous les jurisconsultes, à la jurisprudence de tous les siècles et au droit public des nations.

16. Néanmoins on ne saurait disconvenir que l’art. 6 précité aurait besoin d’une révision. Les mots infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, contraventions aux lois et règlements de l’État, tout procédé qui peut troubler arbitrairement la conscience, ont une acception tellement étendue qu’ils comprennent tous les actes quelconques des ecclésiastiques ; ils ont d’ailleurs le grave inconvénient d’autoriser le Conseil d’État à intervenir dans l’application des canons de l’Église et dans l’examen des faits qui touchent au for intérieur. Heureusement la jurisprudence de ce Conseil, ainsi qu’on le verra plus loin, est venue remédier aux imperfections de la législation ; elle a respecté, sauf de rares exceptions, les attributions essentielles du pouvoir spirituel et sanctionné deux règles générales qui dominent la matière : la première, que les faits commis par un ecclésiastique dans l’exercice du culte peuvent seuls donner lieu à un recours comme d’abus ; et la seconde, que les actes du for intérieur, et spécialement les refus de sacrement, ne peuvent motiver ce recours que dans les cas où ils dégénèrent en injure ou en scandale public.

17. Aux termes de l’art. 7 de la loi du 18 germinal an X, il y a pareillement recours au Conseil d’État s’il est porté atteinte à l’exercice public du culte et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à ses ministres.

« Cet article, dit M. Portalis, est fondé sur la raison naturelle. Si les personnes ecclésiastiques peuvent commettre des abus contre leurs inférieurs dans la hiérarchie et contre les simples fidèles, les fonctionnaires publics et les magistrats peuvent s’en permettre contre la religion et contre les ministres du culte. Le recours au Conseil d’État doit donc être un remède réciproque comme l’était l’appel comme d’abus. » (Voy. suprà, no 6.)

18. Il résulte du rapport de M. Portalis que l’art. 7 n’est applicable que dans le cas où un fonctionnaire quelconque porte atteinte à la liberté du culte ou à l’indépendance de ses ministres. Si l’atteinte provenait d’un particulier laïque, elle constituerait un délit prévu par les lois pénales. L’ecclésiastique lésé pourrait la déférer directement aux tribunaux sans être obligé de s’adresser préalablement au Conseil d’État. (Arr. du C. 30 août 1806.)

19. Du reste, cet art. 7 n’est pas seulement une juste réciprocité accordée aux ecclésiastiques ; il est encore la sanction du principe fondamental de la liberté des cultes proclamé par toutes les constitutions de la France depuis 1789[1], et de l’art. 1er  du concordat de 1801, qui a assuré le libre et public exercice de la religion catholique.

20. Toutefois le recours n’est ouvert que dans les deux cas spécifiés par l’art. 7 ; les ecclésiastiques, dans les autres cas qu’il n’a pas désignés, peuvent invoquer comme citoyens les lois communes à tous les Français.

  1. Il convient de rappeler que l’article 291 du Code pénal est quelque peu limitatif de la liberté religieuse.