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APPEL COMME D’ABUS, 29-32.

29. Il est arrivé plusieurs fois que les parties réclamantes ont saisi directement le Conseil d’État de leur recours pour abus. Cette marche est contraire à l’esprit et au texte formel de l’art. 8 de la loi de l’an X, qui exige une instruction préalable ; aux décisions ministérielles des 27 vendémiaire et 7 germinal an XI, et 8 décembre 1809, et à l’opinion des jurisconsultes les plus distingués ; le Conseil d’État a également pensé que les recours, avant d’être soumis à son appréciation, devaient être adressés au ministre des cultes. (D. 29 août 1854.) Il a renvoyé un certain nombre de plaignants, qui lui avaient remis directement leurs requêtes, à se pourvoir devant le ministre des cultes. (O. 19 mars 1817, 25 mars 1819, 7 avril 1819 et 31 juill. 1822.)

Dans tous les cas, le recours comme d’abus ne peut être exercé par un particulier qu’en son nom personnel. Un exécuteur testamentaire n’a point qualité pour former ce recours au nom et comme représentant d’une personne décédée. (Arr. du C. 4 mai 1867.)

30. Du principe que les recours comme d’abus sont examinés et jugés dans les formes administratives, il suit qu’ils ne peuvent être exercés d’office que par les préfets. (L. 18 germ. an X, art. 8.) Les procureurs généraux n’ont plus maintenant, comme autrefois, le droit de les former. Lorsqu’un fait de nature à justifier un recours pour abus leur est dénoncé, ils se bornent à recueillir des informations ; ils en transmettent le résultat au ministre de la justice, qui renvoie les pièces à son collègue le ministre des cultes.

31. Le premier soin des autorités administratives et judiciaires doit être de s’assurer si les faits signalés ont eu lieu, ou non, dans l’exercice du culte. En cas d’affirmative, on doit d’abord provoquer la décision du Conseil d’État ; si un prêtre a eu le malheur de se rendre coupable d’un crime ou d’un délit en dehors de ses fonctions, il est poursuivi devant les tribunaux comme les autres citoyens. (Arr. du C. 2 mars 1831 ; Cass., 12 mars 1840.)

32. Lorsque les faits commis dans l’exercice du culte présentent les caractères d’un crime ou délit puni par les lois pénales, l’autorisation du Conseil d’État est-elle toujours indispensable pour traduire l’ecclésiastique devant la justice ? Cette question, d’une haute importance pour le clergé, est depuis longtemps l’objet d’une sérieuse controverse.

Il a été généralement reconnu que les ministres du culte ne sont pas des fonctionnaires publics ; qu’on ne pouvait dès lors invoquer en leur faveur les dispositions de l’art. 75 de la Constitution de l’an VIII, qui défendait de poursuivre, sans une autorisation préalable du Conseil d’État, les agents du Gouvernement en raison de délits ou crimes commis dans leurs fonctions. Mais on a représenté que les ecclésiastiques ont également droit à la protection due à tous ceux que leurs fonctions mettent chaque jour en rapport avec le public. On ne pourrait équitablement les laisser sans cesse exposés à des dénonciations calomnieuses, à des persécutions d’autant plus injustes qu’elles sont souvent dirigées par des sentiments anti-religieux. On ne saurait permettre au premier venu de les détourner, selon ses caprices, d’un ministère nécessaire à toute une paroisse, de nuire à leur considération en les traînant sur les bancs de la police correctionnelle. L’intérêt de la religion, la dignité du sacerdoce, le service paroissial s’y opposent. Il est vrai que la législation ne s’est pas formellement expliquée sur ce point[1]. Mais, d’une part, l’art. 6 de la loi du 18 germinal an X range au nombre des cas d’abus les contraventions aux lois et règlements de l’État, et comprend nécessairement les crimes et délits qu’on ne peut commettre sans violer une loi. D’un autre côté, l’art. 8 précité dispose que « le Conseil d’État renverra l’affaire, selon l’exigence des cas, aux autorités compétentes ». Ces mots, « selon l’exigence des cas », s’appliquent évidemment aux faits qui, dépassant les limites des simples abus de fonctions, constituent un crime ou un délit. C’est en ce sens que les deux art. 6 et 8 ont été interprétés par M. le comte Portalis, fils de l’illustre rédacteur de la loi de l’an X, dans une note rapportée au Journal des conseils de Fabriques (t. Ier, p. 15) en ces termes : « On trouve dans les art. 6, 7 et 8 de la loi du 18 germinal an X, relatifs aux fonctionnaires ecclésiastiques, l’équivalent des dispositions que renferme l’art. 75 de l’acte constitutionnel de l’an VIII quant aux agents du Gouvernement. Toutes les fois qu’on a à se plaindre d’un fonctionnaire ecclésiastique pour des faits relatifs à ses fonctions, la voie du recours est la seule qui soit ouverte, et les tribunaux ne peuvent être saisis qu’après qu’il a été décidé par le Conseil d’État si l’affaire est, de sa nature, administrative ou judiciaire. »

Telle est aussi, sur ce point, la jurisprudence du Conseil d’État. (O. 19 avril 1817, 23 avril 1818, 28 oct. 1829, 2 mars, 8 avril 1831, 27 août 1839, 27 avril 1841, etc.)

On peut citer des arrêts de la Cour de cassation et des cours d’appel dans les deux sens de l’affirmative et de la négative. Pendant l’année 1831, la Cour suprême a jugé cinq fois (les 23 juin, 9 septembre, 3 et 25 novembre et 23 décembre) que l’autorisation du Conseil d’État n’était pas nécessaire pour poursuivre un ministre du culte devant les tribunaux à raison de faits qualifiés crimes ou délits ; mais il est à remarquer que les circonstances qui ont motivé ces cinq arrêts prononcés à une époque très-rapprochée de la révolution de 1830, se rattachaient toutes à la politique. Au surplus, la distinction posée entre les délits politiques et les autres délits nous semble entièrement arbitraire[2]. Aucun terme de la loi de l’an X ne la justifie. Postérieurement, la Cour de cassation a admis, dans ses arrêts des 12 mars 1840,

  1. Il nous semble que le droit commun protége tous les citoyens, prêtres et autres, contre d’injustes attaques.

    La législation française répugne trop aux lois d’exception pour les admettre sans une bien évidente nécessité. Devait-elle prévoir le cas où « le premier venu » par simple « caprice » ferait traîner un prêtre, pasteur ou rabbin « sur les bancs de la police correctionnelle » ? Est-ce qu’il n’y a pas des lois contre l’injure, la diffamation, la calomnie, etc. ?

    Plus d’un pense que l’appel comme d’abus n’a aucun rapport avec les crimes et délits de droit commun ; cette procédure aurait été instituée pour protéger surtout les laïques contre certains abus ecclésiastiques qui ne comportent aucun recours aux tribunaux. La meilleure preuve en faveur de cette manière de voir est que, contre ces abus, le Gouvernement n’a d’autre moyen d’action que de prononcer un blâme. M. B.

  2. Nous ne sommes pas sur ce point tout à fait de l’avis de l’auteur.