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ASSISTANCE PUBLIQUE, 4-7.

le développement de la charité religieuse et de la bienfaisance privée, dans lesquelles elle doit voir toujours de précieux auxiliaires et non des rivales ; elle leur viendra en aide et obtiendra, en échange de son concours, l’influence nécessaire pour faire accepter d’utiles conseils et coordonner leurs secours avec les siens sans les confondre.

4. Enfin, au point de vue de l’application, l’assistance publique se donne sous deux formes distinctes : les secours à domicile et les secours hospitaliers. Les secours à domicile ont le grand avantage de laisser l’indigent dans sa famille et de se prêter à tous les besoins, à toutes les circonstances difficiles de la vie du pauvre. Aussi s’accorde-t-on généralement à reconnaître la supériorité morale des secours à domicile. Cependant, l’hôpital est souvent indispensable à la guérison de certaines maladies. C’est dans cet asile de la souffrance que toutes les ressources de la science et de la charité se trouvent réunies pour assister les pauvres que des maladies ou des blessures graves, traitées à domicile, condamneraient à une mort certaine. Les hospices, qui servent de refuge aux vieillards invalides et aux incurables, sont d’une utilité contestable, chaque fois qu’il y a possibilité de maintenir l’indigent dans sa famille, et d’y assurer son existence au moyen d’une pension payée par l’État, le département ou la commune.

CHAP. II. — RÉSUMÉ HISTORIQUE DE LA LÉGISLATION CHARITABLE EN FRANCE.

5. L’organisation des secours publics en France remonte à l’introduction du christianisme dans la société mérovingienne[1]. Un canon du concile de Tours (567) prescrivait à chaque cité de nourrir ses pauvres suivant l’étendue de ses ressources, et obligeait les prêtres et les autres habitants à contribuer à leur entretien, afin de les empêcher de se rendre dans d’autres localités. Les capitulaires de Charlemagne rappellent que les canons de l’Église font aux évêques un devoir de nourrir les pauvres et de partager avec eux les dîmes et les offrandes. Sous le régime féodal, la prédominance de l’aristocratie guerrière, en inspirant le mépris du travail, ramenait graduellement le cultivateur et l’artisan à la servitude païenne que le christianisme tendait à détruire. Heureusement, l’influence du clergé et des ordres religieux, secondée par la royauté, surtout par saint Louis, opéra une réaction salutaire. La construction des églises et des monastères, en donnant au travail une impulsion nouvelle, fit éclore partout ces corporations d’arts et métiers qui relevèrent la condition morale et matérielle des classes ouvrières. Dans les campagnes, les moines nourrissaient les infirmes, soignaient les malades, élevaient les enfants abandonnés, offraient un abri aux pèlerins, aux ouvriers et aux marchands. Dans les villes, on voyait s’élever partout ces Hostels-Dieu qui sont, avec nos cathédrales, la gloire du moyen âge. D’innombrables léproseries et maladreries couvrirent la France pendant les croisades, avant de former, par les unions organisées sous Louis XIV, cette multitude de petits hospices où sont aujourd’hui soignés les malades de nos campagnes.

6. Pendant le moyen âge, comme aux premiers siècles de l’Église, l’assistance des pauvres était entièrement dirigée par le clergé, qui gérait la plupart des institutions charitables. Mais, sous Philippe le Bel, l’administration hospitalière commença à être sécularisée. La conversion en bénéfices des biens des fondations charitables nécessita l’établissement d’une autorité capable d’interpréter les textes de ces fondations et d’en maintenir l’esprit. Les règles nouvelles, confirmées et complétées par la bulle fameuse de Clément V (1311), confièrent l’administration hospitalière à des commissions où les laïcs pouvaient entrer comme représentants des donateurs[2]. Au xvie siècle, les guerres de religion, en ébranlant la situation financière du clergé et des ordres religieux, interrompirent, dans une grande partie de la France, la distribution des aumônes fondées par la piété des fidèles. La bourgeoisie, qui administrait les communes, eut à supporter, plus lourdement que par le passé, les charges inhérentes à la répression de la mendicité qui devenait partout menaçante.

« Les pauvres de chaque ville, bourg et village, dit l’ordonnance de Moulins, seront nourris par ceux de la ville, bourg ou village dont ils sont natifs et habitants, sans qu’ils puissent vaguer et demander l’aumosne ailleurs qu’au lieu duquel ils sont. Et à ces fins, seront les habitants tenus à contribuer à la nourriture desdits pauvres, selon leurs facultés, à la diligence des maires, échevins, consuls et marguilliers des paroisses : lesquels pauvres seront tenus de prendre bulletin et certification des dessusdits, en cas que pour guérison de leurs maladies ils fussent contraints de venir aux villes ou bourgades où il y a Hostels-Dieu et maladreries à ce destinés. » (O. de Moulins, 1566, art. 73.)

« À mesure que la charité prenait la forme de l’impôt, il devenait juste que le contrôle de la dépense allât du prêtre au magistrat, et que ceux qui devaient, suivant leurs forces, payer cette taxe spéciale, pussent du moins en régler l’emploi suivant les besoins[3]. » La sécularisation de la charité publique, que beaucoup de publicistes croient postérieure à 1789, a été préparée et, dans une certaine mesure, appliquée par les édits de François Ier (19 décembre 1543, 15 janvier 1545), Henri II (1553), Charles IX (1561), relatifs à la réforme de l’administration hospitalière, et surtout par l’ordonnance de Henri III (mai 1579), rendue sur les plaintes et doléances des États rassemblés à Blois en 1576.

7. Mais, heureusement, la France sut s’arrêter à temps sur la pente où le calvinisme l’entraînait. Grâce à la conversion de Henri IV, elle ne suivit pas l’exemple de l’Angleterre et des autres pays où, sous l’influence de la Réforme, s’établissaient déjà la taxe des pauvres et la charité légale. L’Église de, France, en gardant sa dotation et son indépendance, préserva, pendant deux siècles en-

  1. Il y a eu des secours publics à l’époque païenne. Il est encore quelques autres points d’histoire sur lesquels nous ne partageons pas la manière de voir de notre honorable collaborateur. M. B.
  2. Histoire des classes laborieuses en France, par Ducellier, p. 146.
  3. Histoire de l’Assistance, par Monnier, p. 340.