Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
ADMINISTRATION, 9-14.

naires et agents administratifs sont hiérarchiquement subordonnés aux membres du Gouvernement, et font, pour ainsi dire, corps avec lui.

9. Mais ces deux autorités n’en sont pas moins distinctes l’une de l’autre, comme la volonté et l’action. C’est le Gouvernement qui dirige, qui donne l’impulsion ; c’est l’administration qui agit, qui exécute. Pour faire comprendre l’importance pratique de cette distinction, il suffit de citer un exemple. Quand une loi charge expressément un fonctionnaire, soit un préfet, de l’exécution d’une de ses dispositions, ce magistrat ne se croit pas autorisé à l’appliquer avant d’en avoir reçu l’ordre du ministre[1]. Ainsi, quoique la loi désigne un agent déterminé de l’administration, celui-ci ne peut agir qu’après avoir reçu l’impulsion et la direction de ses chefs hiérarchiques.

10. L’autorité exercée par l’administration lui est déléguée, soit d’une manière générale par le fait de son institution, soit d’une manière particulière par une loi spéciale. Il est des lois qui règlent tous les détails et n’attribuent à l’administration que l’exécution pure et simple de ses prescriptions ; il en est d’autres qui posent seulement les principes, et confient à l’administration le soin de faire les règlements nécessaires pour leur application ; d’autres enfin, et le nombre en est grand, se bornent à la charger d’un service public, en lui laissant toute latitude pour l’exécution.

11. Cette latitude est souvent indispensable en présence des innombrables intérêts qui s’entrechoquent et se croisent, des circonstances locales si variées, des événements de toute nature qui peuvent surgir. Quelque claire et précise que soit une loi, il est probable qu’elle sera mal comprise par l’un, mal interprétée par l’autre, ou que son application rigoureuse rencontrera, dans certains cas, des obstacles insurmontables. Les difficultés qui naîtront, le fonctionnaire compétent devra les résoudre selon les circonstances. C’est ici que l’adage « administrer c’est transiger » pourra trouver quelquefois une utile application.

De plus, il est des difficultés qui se reproduisent fréquemment et sans grandes variations. Si l’on ne trouve pas dès l’abord la meilleure solution, après quelques tâtonnements on apprend à éviter les inconvénients qui ont pu résulter des premières décisions, et on ne tarde pas à voir la jurisprudence qu’il convient d’adopter. Il se forme ainsi, dans les bureaux, une tradition dont le public n’apprécie peut-être pas assez la haute utilité, quoiqu’il en profite tous les jours.

12. Citons maintenant les principales attributions de l’administration :

Elle établit les règlements généraux ou spéciaux considérés comme complément nécessaire de la loi, et dont la préparation lui a été déléguée implicitement (règlement administratif) ou explicitement (règlement d’administration publique),(voy) ;

Elle prescrit des mesures générales obligatoires, soit pour la totalité des citoyens, soit seulement pour une classe d’entre eux, et en surveille l’exécution ;

Elle autorise la création de certains établissements publics ou privés, et exerce une tutelle légale sur les uns, et un contrôle d’ordre public sur les autres ;

Elle accorde la concession de choses ou de droits mis à sa disposition par les lois ;

Elle demande les renseignements qui lui sont nécessaires, fait les recensements, prépare les listes de recrutement, des électeurs, des jurés, etc. ;

Elle fait cesser tout ce qui est contraire aux lois, aux règlements, aux intérêts généraux ou particuliers, à la morale ou à la sécurité publique ;

Elle réprime certaines contraventions et provoque la punition des autres, ainsi que des crimes et des délits ;

Elle gère la fortune publique, dirige la répartition des impôts ; recouvre les contributions, fait les dépenses nécessaires pour le bien de l’État, et en rend compte ;

Elle fait exécuter les travaux publics, soit directement par ses agents, soit sous leur surveillance, et procède à l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Elle examine les réclamations qui lui sont adressées, y fait droit s’il y a lieu, et juge les contestations qui s’élèvent sur ses actes ;

Elle est chargée de l’assistance publique et de la protection de ceux qui sont hors d’état de se protéger eux-mêmes ;

Enfin, et tant que le Gouvernement ne s’est pas réservé lui-même cette attribution, elle nomme et révoque ses propres agents, ainsi que divers officiers publics : leur trace leurs devoirs les éclaire, les surveille, les encourage et les punit.

Sect. 3. — Rapport de l’administration avec l’autorité judiciaire.

13. Nous n’avons pas à nous étendre sur les rapports de l’administration soit avec le pouvoir législatif, soit avec le Gouvernement. Nous avons déjà eu l’occasion de dire qu’elle est subordonnée au Gouvernement comme le bras l’est à la tête, et que ses rapports avec le pouvoir législatif sont indirects, puisqu’ils ont lieu par l’intermédiaire du Gouvernement.

14. Les rapports de l’administration avec la justice sont d’une nature plus délicate. Ces deux autorités sont parallèles et indépendantes l’une de l’autre ; elles se secondent et se complètent mutuellement, et sont également indispensables au bien de l’État. Elles diffèrent, du reste, par leur nature, leur puissance, leur objet et leur forme de procéder.

Par leur nature : car l’autorité judiciaire est déléguée à des juges inamovibles, tandis que l’autorité administrative est confiée à des fonctionnaires révocables.

Par leur puissance : l’administration jouit, dans de certaines limites, d’un droit d’initiative ; elle agit quand elle le croit utile, sans attendre qu’elle soit provoquée ; elle prescrit des mesures obligatoires pour les citoyens. La justice, au contraire, doit presque toujours être saisie, elle ne décide ni ne prescrit rien : elle juge, mais ses arrêts sont souverains.

Par leur objet puisque l’administration est chargée des intérêts généraux, tandis que la justice a pour mission la solution des difficultés qui

  1. C’est-à-dire le ministre ne donne pas un ordre spécial pour chaque cas, mais des instructions générales. Il annonce, pour ainsi dire, l’existence de la loi, en fait connaître l’esprit, il la commente et indique comment on doit l’appliquer.