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ADMINISTRATION

13o Divers, prolongation de lettres-patentes, autorisation de se remarier après un divorce, etc.

Ainsi donc, la loi prédomine. Toutefois, le parlement prend de plus en plus l’habitude de charger le Gouvernement de la rédaction du règlement d’administration publique ou de lui donner pouvoir « empower » de faire des règlements. Il en résulte une extension croissante de l’action administrative, mouvement qui s’accélère par le fait que le self-government, c’est-à-dire l’administration gratuite, cède de plus en plus ses fonctions actives à des agents salariés. (Voy. Organisation communale, administration comparée.) La loi y consent, mais se borne à l’autoriser. Malgré ce mouvement, il faudra encore bien du temps avant que l’administration anglaise ressemble aux administrations du continent ayant un pouvoir réglementaire propre de quelque étendue. En attendant, c’est surtout pour l’enregistrement, l’inspection et le contrôle qu’elle est instituée. (Voy. sur l’administration anglaise le grand ouvrage de M. Gneist, qui a été traduit en français et même en anglais.)

Nulle part peut-être l’administration ne disparaît autant qu’aux États-Unis de l’Amérique du Nord. Cela vient de ce que les États formant l’Union sont souverains en matière administrative et en même temps peu étendus et faiblement peuplés, ou plutôt qu’ils ont été fondés dans des déserts par des populations désireuses et souvent obligées de faire tout par elles-mêmes. Un État de l’Union américaine peut être comparé à une pyramide composée de trois assises : en bas les municipalités ou towns, au milieu les comtés embrassant plusieurs municipalités, en haut l’État. Le pouvoir exécutif a plutôt les attributions gouvernementales que les attributions administratives ; il nomme des juges et des agents de police, quelques autres fonctionnaires, et s’en repose pour le reste sur le comté. La plupart de ces fonctionnaires n’ont qu’une voix consultative, comme les membres des bureaux (comités ou commissions) de l’instruction publique, d’hygiène publique, de charité publique, des chemins de fer, en tant que ces matières embrassent l’État entier.

Les comtés ont la charge des tribunaux de première instance et de police, des prisons, des ponts et chaussées, et quelques attributions accessoires comprenant souvent l’assistance publique, la construction et l’entretien des bâtiments publics pour le service du comté. Il leur faut naturellement aussi une caisse, mais sauf un seul cas, jusqu’à présent (1874), jamais compte de ces dépenses n’a été rendu au gouvernement de l’État. Cependant, le comté n’est pas un État dans l’État, car ses juges de paix, qui se réunissent également en sessions trimestrielles, sont nommés par le Gouvernement.

C’est dans la commune surtout que réside ce que nous considérons comme l’administration, parce que ce sont ses agents qui exécutent le plus grand nombre de lois. Mais la commune est loin d’être omnipotente, elle est soumise aux lois de l’État, qui règlent la compétence municipale, mettant ainsi entre les mains de chaque citoyen le droit de forcer judiciairement les fonctionnaires municipaux de faire leur devoir. (Par exemple, si la loi oblige l’agent voyer de faire balayer les rues, tout citoyen peut le traduire devant le juge de paix et le faire condamner à l’amende si le nettoyage n’a pas eu lieu.)

Le gouvernement central des États-Unis n’a également qu’un pouvoir administratif restreint, quoiqu’il ait la nomination d’un grand nombre de fonctionnaires. La loi américaine est aussi minutieuse, aussi réglementaire que la loi anglaise, et laisse peu ou rien à faire au pouvoir exécutif. D’ailleurs, la constitution fédérale a réservé au congrès le droit de faire les lois et les règlements. D’un autre côté, le pays étant divisé en États, le pouvoir central n’a pas besoin d’agents provinciaux, si ce n’est des douaniers ou des agents de la poste.

Passons à ce qu’on pourrait appeler les États-Unis d’Europe, la Suisse. Les cantons sont en effet dans la situation des États mi-souverains qui composent l’union américaine. La Suisse est pénétrée de l’esprit européen ou plus exactement de l’esprit continental. Jusque dans les très-petits cantons, où le pouvoir législatif est retenu et exercé par l’ensemble des citoyens, le pouvoir exécutif jouit du droit de réglementation, mais il n’y a d’administration que dans les cantons d’une certaine étendue. Le gouvernement central de la république exerce le pouvoir exécutif et réglementaire, mais l’organisation cantonale ne permet pas d’étendre l’administration. En résumé, malgré la forme républicaine ultra-démocratique, malgré la loi qui défend d’instituer des juges, des fonctionnaires ou des employés à vie, malgré la division en cantons, la Suisse a toute l’administration que son étendue comporte, et elle reconnaît au pouvoir exécutif (conseil fédéral) un certain droit de réglementation (art. 102 de la Constitution).

Ajoutons que ni l’Angleterre, ni les États-Unis, ni la Suisse ne connaissent les tribunaux administratifs qui, sinon inventés, du moins transformés, systématisés et perfectionnés en France, sont en train de s’établir dans le reste de l’Europe. Les principes généraux de notre administration, à cause de leur clarté et de la logique qui les caractérisent, de l’aveu de tous (voy. par exemple le remarquable Traité d’administration de M. Lorenz de Stein, professeur à Vienne), se répandent de plus en plus et inspirent les législations des autres pays. Nous pouvons donc nous contenter ici de jeter un coup d’œil sur l’administration prussienne.

La Prusse est, en effet, avec la France, le pays qui a le plus contribué au progrès de l’administration pratique. Pour la théorie, elle ne vient qu’après la France, et la cause en est que le système constitutionnel y a été introduit beaucoup plus tard. Tant que le droit public d’un pays ne distingue pas entre la loi et l’ordonnance ou le décret, les mesures prises par l’autorité peuvent être excellentes en pratique, mais elles ne contribuent pas à éclaircir la nature des rapports qui existent entre le gouvernement et les citoyens. La loi ne se distingue du règlement administratif (ordonnance, décret, arrêté royal et en général tout acte du pouvoir exécutif) que lorsqu’il y a un pouvoir législatif distinct. Or, avant 1848, le roi de Prusse faisait les lois et présidait à leur exécution, il réunissait tous les pouvoirs. Pourtant, et voilà précisément le point remarquable, même dans ce gouvernement absolu, on est parvenu à établir une distinction assez profonde, quoique un peu confuse, entre la loi et le règlement, et l’on y est parvenu par une organisation rationnelle de l’administration, par l’inamovibilité des fonctionnaires admis après examen, et dans certains cas aussi, par leur réunion en colléges. On s’est borné à donner aux fonctionnaires un pouvoir propre bien déterminé, dont l’exercice est soumis à une surveillance sérieuse, opérant ainsi une décentralisation effective qui, si elle n’équivalait pas au système libéral qui peut seul satisfaire le sentiment moderne, n’était pas sans valeur pratique. Le pivot du système est ou était dans les gouvernements des districts (ou départements) créés par les ordonnances des 3 juin 1814 et 30 avril 1815 et complétés par les instructions des 23 octobre 1817 et 31 décembre 1825. Ces gouvernements (Regierung, qu’on traduit parfois, mais à tort, par Régence) étaient et sont encore composés d’autant de membres qu’il y a d’attributions principales : ainsi il y a des conseillers des finances, de l’instruction publique, du culte, des travaux publics, etc., s’occupant chacun de son attribution spéciale (Decernat), décidant les affaires peu importantes et soumettant les affaires plus graves à la délibération du gouvernement, soit à une des sections, soit à l’assemblée générale (Plenum). Les affaires importantes sont signées par le président du gouvernement, qui répond à beaucoup d’égard à nos préfets, comme les conseillers correspondent à nos chefs de division et de bureau des préfectures ; mais dans une certaine mesure seulement, car en France ces indispensables agents de l’administration sont des employés nommés par le préfet et n’ont aucun pouvoir, tandis que les conseillers prussiens sont des fonctionnaires nommés par le roi et exercent une certaine autorité. Ces gouvernements sont encore des administrations collectives, mais comme chaque membre a son attribution déterminée, il en est responsable tant envers le président du gouvernement qu’envers le ministre auquel l’attribution ressortit et qui en surveille le titulaire. Il est question d’augmenter les pouvoirs du président, ce qui rapprocherait davantage ses fonctions de celles du préfet.

Notons que les gouvernements peuvent faire tous les règlements nécessaires pour l’exécution des lois dans leur district, et il leur est enjoint, d’une part, de tenir compte des particularités locales, usages, mœurs, droits spéciaux, et de l’autre de ne pas demander des instructions ministérielles dans des cas où ils ont reçu pouvoir de décider par eux-mêmes. On tient beaucoup en Prusse à respecter les « particularités locales », aussi l’administration n’est-elle pas complètement symétrique, puisque après l’annexion du Hanovre on a conservé les Drossaris ou préfets avec une organisation spéciale. (Il se prépare, du reste, des modifications destinées à la fois à rendre l’administration uniforme et peut-être moins centralisée. [Voy. Départements.])

Le gouvernement des districts, avons-nous dit, représente notre préfecture, l’administration revendique en outre les chefs des provinces (présidents supérieurs) et les directeurs des arrondissements ou sous-préfets (Landrath) dont il nous reste à parler. Le président supérieur est une sorte d’agent politique, car ses attributions administratives ne sont pas nombreuses ; il représente le gouvernement auprès des États provinciaux, qui correspondent dans une certaine mesure à nos conseils généraux. Nous en reparlerons ailleurs.

Le Landrath ou directeur d’arrondissement a des attributions très-étendues, peut-être autant qu’un préfet en France, bien qu’il soit élu par et parmi les grands propriétaires de l’arrondissement et seulement confirmé par le roi. Le roi peut refuser son consentement, et il le refuse parfois ; alors s’il ne se trouve aucun candidat agréable dans l’arrondissement, le gouvernement envoie un administrateur. C’est l’arrondissement qui est, en Prusse, la véritable base du self-government, nous en donnons une idée au mot Département. Comme la France, la Prusse ne s’est avancée que peu à peu dans la voie de la décentralisation. En Angleterre non plus, la perfection n’a pas été atteinte en un seul jour, puisque aujourd’hui les critiques qu’on adresse, en Angleterre même, à ce qu’on y appelle le self-government, sont vives et nombreuses.