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Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/558

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CONFLIT, 56-60

attribuer à l’autorité judiciaire des pouvoirs que celle-ci ne tient pas de la loi ; que cette autorité ne pouvait pas davantage mettre une usurpation de ce genre à l’abri de la revendication administrative, et qu’une telle usurpation n’était pas plus régulière parce qu’elle était devenue plus complète.

Mais on oubliait que ces principes, dont aucun obstacle ne pouvait, en effet, paralyser l’application tant que l’existence du litige permettait de rétablir l’ordre des juridictions, rencontraient, par l’effet d la chose jugée, un principe nouveau, un principe qui n’était pas moins d’ordre public, et qui l’était au degré le plus élevé. Dans une société régulière, la chose définitivement jugée est le dernier mot des contestations humaines ébranler le respect absolu qui lui est dû, c’est substituer l’empire de la force à l’empire du droit. La chose jugée couvre et purge tous les vices ; elle couvre, elle doit couvrir celui de l’incompétence comme tout autre. Les préoccupations exagérées d’un intérêt administratif ou politique mal compris ont pu méconnaltre, pendant un temps plus ou moins long, cette grande et élémentaire vérité ; mais le jour où elle a été librement et mûrement débattue, elle a dû prévaloir, et l’art. 4 de l’ordonnance de 1828 n’a fait que la traduire et l’appliquer par ses dispositions.

56. Un, grand nombre de décisions, soit du Conseil d’État, soit du Tribunal des conflits, ont eu à fixer le sens et à faire l’application de cet article. Elles se ramènent toutes, indépendamment du cas d’acquiescement, à deux points fondamentaux. D’une part, le conflit ne peut être élevé après un jugement ou un arrêt définitif, alors même que le délai de l’appel ou du pourvoi en cassation ne serait pas encore expiré. D’autre part, le conflit peut être élevé tant qu’il n’a pas été statué définitivement sur le fond de la contestation, et alors même que des jugements préparatoires ou interlocutoires auraient été rendus qui préjugeraient implicitement ou même jugeraient explicitement la question de compétence.

57. La première de ces deux règles aurait pu faire difficulté, du moins pour les jugements des tribunaux de première instance : car un jugement définitif, lorsqu’il est et pendant qu’il est susceptible d’appel, n’est pas en dernier ressort, et dès lors on aurait pu soutenir, en s’attachant exclusivement au § 1er de l’art. 4, qu’un tel jugement pouvait donner lieu à conflit, tant que l’expiration du délai d’appel ne l’avait pas rendu irrévocable. Mais le § 2 du même article fixe le sens du 1er : en permettant, par exception, d’élever le conflit sur l’appel, lorsqu’il n’a pas été élevé en première instance, il suppose et exige l’appel, et, à défaut d’appel, il interdit le conflit dès que le jugement de première instance est rendu.

Cette interprétation repose, au surplus, sur le principe même du respect dû à la chose jugée. En effet, un jugement définitif, même susceptible d’appel, a force de chose jugée dès le jour où il est rendu l’éventualité de l’appel n’est qu’une condition résolutoire, qui, si elle ne se réalise pas, n’empêchera pas que ce jugement n’ait eu, dès l’origine, le caractère et les effets d’un jugement en dernier ressort.

Il en devrait être ainsi même des jugements (ou arrêts) par défaut l’éventualité de l’opposition que peut former la partie condamnée n’est également qu’une condition résolutoire, qui n’empêche pas que le jugement (ou l’arrêt) ne soit, quant à présent, définitif, et ne doive l’être du jour même où il a été prononcé, si l’opposition n’est pas formée. Le conflit ne pourrait donc, en pareil cas, être élevé qu’autant que cette opposition interviendrait effectivement et remettrait en question la décision rendue[1].

58. À plus forte raison ne pourrait-il porter sur des arrêts définitifs, même pendant les délais du pourvoi en cassation. L’objection que nous avons indiquée et réfutée en ce qui touche les jugements de première instance, ne pourrait même pas naitre pour ces arrêts car le pourvoi en cassation n’est pas suspensif, et dès lors il ne serait, dans aucun cas, possible de prétendre que l’arrêt qui termine un litige n’est pas immédiatement définitif, dans le sens légal du mot.

Il convient pourtant de remarquer sur ce dernier point que, si la Cour de cassation vient à casser l’arrêt qui lui a été déféré, cet arrêt se trouve désormais non avenu, et qu’alors le conflit peut, t, s’il y a lieu, être élevé devant la cour à laquelle l’affaire est renvoyée. L’effet de la cassation est de remettre la cause et les parties au même état qu’avant l’arrêt cassé, c’est-à-dire à l’état d’appel or, le conflit peut être élevé en appel, sous les conditions établies par l’article qui nous occupe. Cette proposition n’est pas susceptible de controverse elle a été, du reste, consacrée dans diverses affaires par le Conseil d’État, soit implicitement (24 déc. 1845), soit explicitement (19 mars 1847).

59. Sauf cette observation (qui s’appliquerait également au cas de tierce-opposition ou de requête civile), si quelques conflits ont été élevés au mépris de la prohibition de l’art. 4, ils ne l’ont été que par suite d’erreurs évidentes, dont le Conseil d’État a toujours fait bonne justice. Il nous suffit de renvoyer, par exemple, aux décisions des 8 avril 1829, 31 mars 1835, 28 août 1844, 27 août 1857, etc.

60. Quelquefois pourtant ces conflits ont été élevés dans des circonstances particulières qui pouvaient, à première vue, jeter quelque incertitude sur la solution.

Ainsi, lorsque les parties, après une décision définitive et passée en force de chose jugée par l’expiration des délais ou par l’épuisement des moyens de recours, sont obligées de revenir devant le juge pour obtenir l’exécution de sa sentence, sur le sens ou la portée de laquelle elles ne sont pas d’accord, cette circonstance ne peut autoriser le préfet à revendiquer par la voie du conflit, désormais fermée, le litige terminé par la première décision. (5 déc. 1838 ; 28 août 1866, etc.)

De même, un conflit ayant été élevé à l’égard d’un jugement qui ne faisait que fixer le montant de dommages-intérêts accordés à une partie par un jugement antérieur passé en force de chose jugée, ce conflit a été annulé par le Conseil d’État

  1. Mais il est clair que le déclinatoire et, par suite, le conflit, seraient recevables sur l’opposition : ce point a été cependant contesté, mais sans succès, devant le Conseil d’État (7 déc. 1854).