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Lorsque parurent, il y a sept ou huit ans, les opuscules inédits de Baudelaire, publiés par un détenteur vergogneux entre les mains de qui l’étonnant poète avait subi l’avanie posthume de tomber, — on eut un spectacle surprenant.

Le bibliophile tumulaire, que l’insolent débours de quelques écus avait rendu possesseur de ces reliques du plus hautain de tous les génies, s’était permis, il est vrai, de les raturer à sa fantaisie. Cette poussière vénérable était profanée, tamisée, atténuée, d’une pudibonde main, en représailles, à coup sûr des lampes ardentes du Mépris dont le Visité terrible avait travaillé, pendant sa vie, la peau des bourgeois.

Mais enfin, c’était Baudelaire encore et la justice, la fameuse justice de la postérité infaillible, allait décidément pouvoir s’exercer sur ce malheureux ouvrier de l’Idéal qui mourut dans les affres de l’abandon, sans avoir reçu son salaire.

On pouvait bien croire, n’est-ce pas ? que tant d’années après la mort, et les rivalités ou les haines de ce temps-là s’étant éteintes d’elles-mêmes, à jamais, dans la fange des cimetières, la vierge gloire de ce trépassé allait immanquablement éclater, à l’occasion de ce livre, et fulgurer sur sa pauvre tombe.

Il était d’autant moins possible d’en douter que l’Art moderne s’est rué, depuis vingt ans, par la brèche qu’il lui avait ouverte à coups de chefs-d’œuvre dans le polygone de la tradition littéraire…