Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/384

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aussi les chrétiens qu’ils n’ont pas ruinés ?[1]

J’entends bien que cet argent coule et circule et qu’il est devenu le sang de nos veines incrédules, précisément comme la Parole du Seigneur dans les temps de foi. Comment alors se fait-il que cette matière substituée soit si inféconde, si maudite, si dépossédée de l’Esprit, que jamais on ne puisse contempler un riche ouvrant ses deux mains dans la lumière et dissipant sa richesse aux œuvres de haute justice et de véritable amour ?

Il est, je le répète, profondément mystérieux et décourageant de toujours voir ce puissant levier dans des mains indignes ou dans des mains imbéciles. Un mercanti sordide et brutal, un dissipateur crétin, une dévote obtuse, quelquefois un brave homme à l’esprit débile, hanté du démon des sales affaires, tels sont les élus, les sempiternels élus de l’argent. Quand ces êtres-là font les Mécènes, ne craignez pas qu’ils s’égarent, une seule fois, sur un artiste supérieur qui pourrait élever l’étiage de l’esprit humain et devenir ainsi le redoutable parangon du pouvoir dont ils disposent. Avec l’instinct pervers de leur insondable sottise, ils iront droit aux médiocres, comme les libellules aux flambeaux.

Quant à la Charité, ce mot chrétien et ce sentiment chrétien, — l’un des noms de Dieu, —

  1. J’ai développé cette idée, — combien vainement ! — dans le Salut par les Juifs, le seul de mes livres que j’oserais présenter à Dieu.