Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/53

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gent d’une douceur ineffable. Il attend que le crépuscule du matin vienne apporter, par le changement de décors, un dérisoire soulagement à son cœur bouleversé. »

N’est-ce rien qu’une telle suggestion procurée par un désespéré sans larmes qui porte refroidir son cœur hors de la maison, sous un ciel polaire, au fond d’un sale et ténébreux jardin, dans le voisinage d’un puant retrait ; pour le rapporter quand il ne palpitera plus, afin d’être en état de sophistiquer sa douleur par l’ironie pacifique du parfait blasphème ?

« Je rêvais, dit-il, que j’étais entré dans le corps d’un pourceau, qu’il ne m’était pas facile d’en sortir, et que je vautrais mes poils dans les marécages les plus fangeux. Était-ce comme une récompense ? Objet de mes vœux, je n’appartenais plus à l’humanité ! Pour moi, j’entendis l’interprétation ainsi, et j’en éprouvai une joie plus que profonde. Cependant, je recherchais activement quel acte de vertu j’avais accompli pour mériter, de la part de la Providence, cette insigne faveur…

« Mais, qui connaît ses besoins intimes ou la cause de ses joies pestilentielles ? La métamorphose ne parut jamais à mes yeux que comme le haut et magnanime retentissement d’un bonheur parfait, que j’attendais depuis longtemps. Il était enfin venu, le jour où je fus un pourceau ! J’essayais mes dents sur l’écorce des arbres ; mon groin, je le contemplais avec délice ! Il ne me restait plus la moindre parcelle de divinité : je sus