Page:Bloy - Exégèse des Lieux Communs, Mercure de France, 1902.djvu/220

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nieuse de la perdre. J’ai constamment vécu, pensé, agi, aimé au hasard.

« Ma fortune étant un obstacle, je me suis hâté de la jeter aux jeux de hasard. Devenu libre, alors, j’ai connu le bonheur de manger et de dormir par hasard. Au contraire de tant de gens dont le sens religieux est oblitéré et qui disent qu’il ne faut pas tout abandonner au hasard, je n’ai rien gardé pour moi. Inutile d’ajouter que j’ai une femme de hasard et des enfants qui sont vraiment les fils du hasard, on peut le dire.

« Eh bien ! l’avouerai-je ? avec cela, je ne suis pas content. Le Dieu que j’adore manque de Décalogue et de Sinaï. Le Hasard n’a pas de Commandements. Il peut tout, il veut tout et il fait tout, mais il ne s’oppose à rien, ne défend rien. Essayez de dire : Le hasard n’a pas voulu, le hasard n’a pas permis, le hasard est offensé, le hasard punit, vous n’y parviendrez jamais. Avec lui pas de transgression possible, pas de péché. Quand on fait la noce, c’est assez amusant, je ne dis pas non, mais, à la longue, c’est exaspérant… »

J’interromps ici cette lettre qui devient tout à coup d’une impudicité surprenante, sans qu’il soit possible de dire pourquoi. J’ai seulement retenu cette prosopopée finale qui paraît s’appliquer aux bourgeois, mais dont j’ai eu quelque peine à identifier la destination : « Oh ! les cochons ! les cochons ! les cochons ! »