Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/239

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édifiés sur la posture d’âme de mon correspondant. J’arrive donc au dénouement.

« … On était au mois d’août et la chaleur avait été insupportable tout le long du jour. Exténué, incapable de marcher sous ce soleil féroce, j’avais dormi ou essayé de dormir au bord du chemin, à l’abri d’une meule immense, la dernière d’une longue file qui commençait à la grange d’une métairie où on m’avait refusé brutalement l’hospitalité.

» Quand je me réveillai, la nuit était tout à fait venue. Une délicieuse nuit sans lune. Il me sembla que je franchirais sans peine les quatre ou cinq lieues qui me séparaient encore de Paris. Mais j’avais si faim que je fus au moment de pleurer.

» Comme je cherchais machinalement dans mes guenilles un reste de pain, une bouchée de n’importe quoi, ma main rencontra un objet que je crus être une vieille croûte. Aussitôt je le portai à ma bouche en rugissant de bonheur.

» C’était une boîte d’allumettes.

» Je ne l’avalai pas, cette boîte maudite, cette boîte infâme dont je n’ai jamais pu m’expliquer la présence et que m’envoyèrent sans doute les démons.

» Cependant quelque chose descendit en moi, quelque chose qui me parut meilleur que le rassasiement de mes intestins. Je fus saturé, soûlé, rafraîchi du vin délectable de la haine et de la vengeance. J’avais