Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/252

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j’appris, le mois dernier, la mort sans gloire d’un des hommes les mieux nourris qu’on ait observés au-dessous des montagnes de la lune, depuis les grands goinfres tourangeaux dont Rabelais nous a transmis les épopées.

Je m’honore d’avoir été son ami et me loue d’avoir partagé quelques-unes de ses bombances. Mais je ne sais comment il se fit que j’étais demeuré seul d’une multitude, quand survint le marasme inexplicable qui devait le consumer à trente-cinq ans. Le malheureux n’eut que moi pour le visiter en ses derniers jours et pourvoir à ses funérailles.

Je fis de mon mieux, content d’épargner au cadavre les profanations odieuses de l’amphithéâtre et la terrifiante avanie dernière de ce crématoire où l’Assistance publique, toujours maternelle, fait brûler, sans leur permission, les indigents morts dans ses antres.

Car les pauvres ne possèdent même pas leur carcasse, et quand ils gisent dans les hôpitaux, après que leur âme désespérée s’est enfuie, leurs pitoyables et précieux corps promis à l’éternelle résurrection, — ô douloureux Christ ! — on les emporte sans croix ni oraison, loin de vos églises et de vos autels, loin de ces beaux vitraux consolants où vos amis sont représentés, pour servir, comme des charognes d’animaux immondes, aux expérimentations des charcutiers ou des faiseurs de poussière…