J’ai bien reçu quarante dépêches m’annonçant leur départ imminent pour Bornéo, la Terre de Feu, la Nouvelle-Zélande ou le Groënland.
Plusieurs fois même il s’en est à peine fallu d’un cheveu qu’ils ne partissent, en effet. Mais enfin ils ne partaient pas, ils ne partirent jamais, parce qu’ils ne pouvaient pas et ne devaient pas partir. Les atomes et les molécules se coalisaient pour les tirer en arrière.
Un jour, cependant, il y a une dizaine d’années, ils crurent décidément s’évader. Ils avaient réussi, contre toute espérance, à s’élancer dans un wagon de première classe qui devait les emporter à Versailles. Délivrance ! Là, sans doute, le cercle magique serait rompu.
Le train se mit en marche, mais ils ne bougèrent pas. Ils s’étaient fourrés naturellement dans une voiture désignée pour rester en gare. Tout était à recommencer.
L’unique voyage qu’ils ne dussent pas manquer était évidemment celui qu’ils viennent d’entreprendre, hélas ! et leur caractère bien connu me porte à croire qu’ils ne s’y préparèrent qu’en tremblant.