Page:Bloy - La Méduse-Astruc, 1875.djvu/4

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Cette réserve faite, mon cher Monsieur Bloy, je n’ai plus que des éloges à vous donner et des compliments à vous adresser. Vous vous êtes mis en friche, depuis quelque temps, mais, comme les bons terrains, vous avez donné plus que je n’aurais cru, quoique les difficultés d’écrire dont vous me parlez aient été affreuses et que vous vous soyez fait intellectuellement pour accoucher de ceci, l’opération césarienne. Ah ! ne vous épouvantez pas de cela ! il faut beaucoup s’ensanglanter le flanc pour produire chose qui soit César… et il y a réellement des qualités césariennes dans ce que vous avez écrit, c’est-à-dire des qualités d’un ordre tout à fait supérieur. Je ne puis citer, dans une lettre, tout ce que j’ai trouvé d’incontestablement beau, mais je mettrai à la marge que vous avez laissée pour mes observations les flèches du Sagittaire, à chaque endroit qui m’aura frappé, comme cela et non comme ceci la pointe retournée contre vous, car mes flèches pour vous n’ont pas de pointe… Je ferai cela prochainement, en relisant… Comme aujourd’hui je ne me permets pas le détail et que je vous juge seulement d’ensemble, je ne procède que par traits généraux et qui vous résument. Ce qui vous distingue, mon cher Monsieur Bloy, c’est qu’emphatique (et je prends ce mot dans son sens le meilleur et le plus élevé), vous n’êtes jamais creux. Sous l’image toujours pompeuse, il y a toujours de la pensée ou du sentiment. Vous avez l’imagination sérieuse et forte, et, si elle se monte, facilement terrible. Votre talent a des sourcils noirs, qui se hérissent par moments, comme la moustache d’Ali Pacha, quand il était en colère, mais qui ne changent pas de couleur, comme elle en changeait, cette fabuleuse moustache, car votre couleur est (et peut être un peu trop) uniforme. Vous êtes monotone comme les sérieux et les profonds. Je vous voudrais plus de variété. Une chose diablement rare et que vous avez, par exemple, au plus haut degré, c’est la solennité, la solennité sans la déclamation qui en est l’écueil. Vous avez la solennité d’Edgar Poe que Baudelaire admirait tant (je parle de cette solennité), et sa puissance d’épithète. C’est naturel en vous, car je ne pense pas que vous ayez beaucoup étudié ou aimé Poe, ce qui est la même chose. Ce que vous avez encore et ce qu’on ne peut trop admirer dans un homme de votre froide génération, — de cette génération à ventre de grenouille, dont j’ai le bonheur de n’être pas, — c’est l’enthousiasme, la faculté qu’adorait Mme de Staël. Vous l’avez profond, embrâsé, continu, sans flammes éparses, mais plus concentré que s’il s’en allait par flammes, mais mouvant comme le feu du soleil, dans son orbe, ce fourmillement brûlant qui le fait astre, même quand il n’a pas ses rayons… Vous avez cela, mon cher Monsieur Bloy, et vous ne vous en serviriez pas !! Vous laisseriez tout cela se dessécher, comme l’eau des citernes ! Vous ne développeriez pas les facultés qui sont en vous et que je vous atteste, sur mon honneur de critique, parce que vous avez rencontré, à l’entrée de votre vie, M. Veuillot qui vous a tout promis, pour ne vous rien tenir, et à qui vous ne ferez pas, j’espère, l’honneur de croire qu’il est l’ange ou l’archange que Dieu a mis, un glaive en main, pour en chasser ceux qui ont du talent, à la porte de la littérature, quoique, sacré nom de tonner ! ce ne soit pas un paradis !

Tenez, après votre Méduse-Astruc, si vous ne vous mettez pas courageusement et allègrement à la besogne, je me brouille avec vous.......................

Tout à vous,
J. Barbey d’Aurevilly