Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/171

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Je me rappelle qu’en mon sommeil Vous me preniez par la main et qu’on allait ensemble dans un pays admirable où les lions et les rossignols périssaient de mélancolie.

Vous me disiez que c’était le Jardin perdu, et Vos grandes larmes, qui ressemblaient à de la lumière, étaient si pesantes qu’elles m’écrasaient en tombant sur moi.

Cela me consolait, pourtant, et je m’éveillais en me sentant vivre. M’abandonnerez-Vous aujourd’hui, parce que d’autres ont eu pitié de Votre enfant ?…

Certes, les dévotes bourgeoises du quartier devaient former de singulières et malveillantes conjectures à l’aspect de cette inconnue qui ne parlait jamais à personne et qui ressemblait si peu aux poulardes édifiantes qu’on voit ordinairement picorer dans les sacristies.

Elle n’était pas encombrante, cependant, et ne cherchait guère l’attention. Mais il jaillissait de sa jolie face immobile une candeur offensive qui bousculait les consciences. Elle avait l’originalité de prier, les bras croisés, à la manière des matelots ou des galériens, ce qui laissait à découvert son visage entier, où l’on voyait l’enthousiasme religieux promener sa torche.

Elle était alors si charmante et parfois si belle que les cinq ou six paroissiennes effeuillées qui la voyaient à la même place tous les jours adoptèrent charitablement l’hypothèse explicative d’une « cocotte andalouse et superstitieuse ».