Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/194

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incendiaire, pirate sans merci, combattant des deux mains comme ce flibustier de cauchemar qui ne bondissait sur les galions de Vera-Cruz ou de Maracaïbo qu’après avoir allumé une chandelle dans chacune des boucles de ses interminables cheveux noirs. Il est encore plus facile de le rêver bonnement gardant des pourceaux sous les chênes de quelque vieux monastère, en un paysage de vitrail, et la tête coiffée du nimbe des saints bergers, car c’est une âme d’une simplicité adorable.

Mais la peinture, ou si on préfère, la syntaxe de la peinture, ses préceptes et ses méthodes, ses lois, ses canons, ses rubriques, ses dogmes, sa liturgie, sa tradition, rien de tout cela n’a jamais pu dépasser son seuil.

Au fait, ne serait-ce pas là une manière sublime de concevoir et de pratiquer l’art de peindre, analogue à l’évangélique perfection qui consiste à se dépouiller de tout ?

On lui reproche, comme à Delacroix, l’indigence de son dessin et la frénésie de sa couleur. On lui reproche surtout d’exister, car vraiment il existe trop. Ceux de ses confrères dont l’imagination est une source de colle ne s’expliquent pas un bouillon de vie aussi impétueux. Comment pourrait-il s’attarder à une exactitude rigoureuse, même si elle était indispensable, dans l’exécution de ses tableaux ? Ne voit-on pas qu’il risquerait de ne plus rattraper son âme qui galope toujours devant lui sur une cavale sans frein ?

Eh ! oui, justement, il n’a que cela, son âme, la plus généreuse et la plus princesse des âmes ! Il s’en empare, il la baigne, il la trempe dans un sujet digne d’elle et la