Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/95

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Dieu. Pieuse rhétorique sans profondeur. Ces cages ne sont ténébreuses que parce qu’elles sont placées au-dessous de la Cage humaine qu’elles étançonnent et qui les écrase. Mais, captifs ou non, sauvages ou domestiques, très près ou très loin de leur misérable sultan, les animaux sont forcés de souffrir sous lui, à cause de lui et par conséquent pour lui. Même à distance, ils subissent l’invincible loi et se dévorent entre eux, — comme nous-mêmes, — dans les solitudes, sous prétexte qu’ils sont carnassiers. La masse énorme de leurs souffrances fait partie de notre rançon et, tout le long de la chaîne animale, depuis l’homme jusqu’à la dernière des brutes, la Douleur universelle est une identique propitiation.

— Si je vous comprends, Monsieur Marchenoir, dit Clotilde en hésitant, les souffrances des bêtes sont justes et voulues par Dieu qui les aurait condamnées à porter une très lourde partie de notre fardeau. Comment cela se peut-il puisqu’elles meurent sans espérance ?

— Pourquoi donc, alors, existeraient-elles et comment pourrions-nous dire qu’elles souffrent, si elles ne souffraient pas en nous ? Nous ne savons rien, Mademoiselle, absolument rien, sinon que les créatures, déraisonnables ou sages, ne peuvent souffrir en dehors de la volonté de Dieu et, par conséquent, de sa Justice… Avez-vous observé que la bête souffrante est ordinairement le reflet de l’homme souffrant qu’elle accompagne ? En quelque lieu de la terre que ce soit, on est toujours sûr de rencontrer un esclave