Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/97

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plus secrètes balances du Seigneur, l’inquiétude barbare de l’humanité ?

La voix de cet avocat des tigres était devenue vibrante et superbe. Les bêtes féroces le regardaient curieusement de tous les points de la galerie sombre et le vieil ours canadien lui-même parut attentif.

Clotilde, profondément étonnée, laissait aller toute son âme à cette parole qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait entendu. Elle écoutait des pieds à la tête, incapable d’une objection, configurant, comme elle pouvait, sa pensée à la pensée de ce pathétique démonstrateur.

À la fin, pourtant, elle se hasarda :

— Il me semble, Monsieur, que vous devez être assez rarement compris, car vos paroles vont plus loin que les idées ordinaires. Les choses que vous dites paraissent venir d’un monde étranger que ne connaîtrait personne. J’ai donc beaucoup de peine à vous suivre et, je l’avoue, le point essentiel est toujours obscur pour moi. Vous affirmez que les bêtes partagent la destinée de l’homme qui les entraîna dans sa chute ! Soit. Vous ajoutez qu’étant privées de conscience et n’ayant pas à souffrir pour elles-mêmes, puisqu’elles n’ont pu désobéir, elles souffrent nécessairement à cause de nous et pour nous. Cela, je le comprends moins. Cependant, je peux encore l’admettre comme un mystère qui n’a rien de révoltant pour ma raison. J’entends bien que la douleur ne peut jamais être inutile. Mais, au nom du ciel ! ne doit-elle pas profiter aussi à l’être qui souffre ? Le sacrifice,