Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/104

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dans tous les siècles ; nous verrons avec quelle exactitude infiniment calculée furent réparties, en leur temps, les prospérités et les douleurs, et quelle miraculeuse équité nécessitait passagèrement les apparences de l’injustice !

Chose digne de remarque, la Grande Chartreuse continua d’être habitée. Un religieux infirme y resta et n’y fut jamais inquiété, bien qu’il portât toujours l’habit. Le 7 avril 1805, — c’était le dimanche des Rameaux, — on le trouva mort dans sa cellule, à genoux à son oratoire : il avait rendu son âme à Dieu, en priant. Peu de jours après, Chateaubriand visitait la Grande Chartreuse.

« Je ne puis décrire, dit-il dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, les sensations que j’éprouvai dans ce lieu ! Les bâtiments se lézardaient sous la surveillance d’une espèce de fermier des ruines ; un frère lai était demeuré là pour prendre soin d’un solitaire infirme qui venait de mourir. La religion avait imposé à l’amitié la fidélité et la reconnaissance. Nous vîmes la fosse étroite, fraîchement couverte. On nous montra l’enceinte du couvent, les cellules accompagnées chacune d’un jardin et d’un atelier ; on y remarquait des établis de menuisiers et des rouets de tourneurs, la main avait laissé tomber le ciseau. Une galerie offrait Les portraits des Supérieurs de l’Ordre. Le palais ducal de Venise garde la suite des ritratti des Doges, lieux et souvenirs divers ! Plus haut, à quelque distance, on nous conduisit à la chapelle du reclus immortel de Lesueur. Après avoir dîné dans une vaste cuisine, nous repartîmes. »

Aujourd’hui, la Grande Chartreuse est aussi prospère que jamais. Les innombrables voyageurs peu-