Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rité du monastère lui fut accordé, sans même qu’il le demandât, jusqu’à la permission de fumer dans sa chambre, faveur presque sans exemple. On le laissa songer à son aise. Son âme excédée, vibrante comme un cuivre, se détendit et s’amollit, — délicieusement, — à la flamme pleine de parfums de cette charité…

Chaque jour, le père Athanase, devenu son ami, le venait voir, lui donnant avec joie tout le temps qu’il pouvait. Et c’étaient des conversations infinies, où le religieux, naguère élevé dans les abrutissantes disciplines du monde, s’instruisait, une fois de plus, de leur néant, à l’école de ce massacré, et qui remplissaient celui-ci d’une tranquille douleur de ne pouvoir leur échapper dans la lumineuse Règle de ces élargis.

Ces chartreux si austères, si suppliciés, si torturés par les rigueurs de la pénitence, — sur lesquels s’apitoie, légendairement, l’idiote lâcheté des mondains, — il voyait clairement que ce sont les seuls hommes libres et joyeux dans notre société de forçats intellectuels ou de galériens de la fantaisie, les seuls qui fassent vraiment ce qu’ils ont voulu faire, accomplissant leur vocation privilégiée dans cette allégresse sans illusion que Dieu leur donne et qui n’a besoin d’aucune fanfare pour s’attester à elle-même qu’elle est autre chose qu’une secrète désolation.

— Mon père, dit-il un jour, croyez-vous, en conscience, que la vie religieuse régulière me soit décidément et absolument interdite ? Vous savez toute mon histoire, tous mes rêves inhumés, et mon clairvoyant dégoût de toutes les séculières promesses.