Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/117

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vieilles illusions archi-décrépites, crevassées, poussiéreuses, grelottantes, mais cramponnées encore et inarrachables !

La seule abomination qui lui eût manqué jusqu’à cet instant : l’amour sans espérance, ce trésor de surérogatoires avanies, désormais ne lui manquait plus. C’était admirablement complet ! Encore une fois, qu’avait-il devenir ? Il prit un marteau pour enfoncer en lui cette question, jusqu’à se crever le cœur, et la réponse ne vint pas…

La littérature dite amoureuse a beaucoup puisé dans la vieille blague des délices du mal d’aimer. Marchenoir n’y trouvait que des suggestions de désespoir. Il avait bien cru, cependant, que c’était fini pour lui, les années de servitude, ayant payé de si royales rançons au Pirate aveugle qui capture indistinctement toutes les variétés d’animaux humains ! Il n’était plus d’humeur à pâturer la glandée d’amour. En fait d’élégies, il n’avait guère à offrir que des beuglements de tapir tombé dans une fosse, et les seuls bouquets à Chloris qu’on pût attendre de lui, eussent été moissonnés, d’une affreuse main, parmi les blêmes végétaux d’un chantier d’équarrisseur.

À force de piétiner cette broussaille d’épines, il finit par faire lever une idée trois fois plus noire que les autres, une espèce de crapaud-volant d’idée qui se mit à lui sucer l’âme. Sa bien-aimée avait appartenu à tout le monde, non par le désir ou le commencement du désir, comme c’était son cas, mais par la caresse partagée, la possession, l’étreinte bestiale.

Aussitôt que cette fange l’eut touché, le misérable amoureux s’y roula, comme un bison. Il eut une