Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/125

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Mais ce n’est pas seulement pour louer ou pour contempler que les Chartreux veillent et chantent. C’est aussi pour intercéder et pour satisfaire, en vue de l’immense Coulpe du genre humain et en participation aux souffrances de Celui qui a tout assumé. « Jésus-Christ, disait Pascal, sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. »

Cette parole du pauvre Janséniste est sublime. Elle revenait à la mémoire de ce ramasseur de ses propres entrailles, isolé dans sa tribune lointaine et glacée, pendant qu’il écoutait chanter ces hommes de prière éperdus d’amour et demandant grâce pour l’univers. Il pensait qu’au même instant, sur tous les points du globe saturés du Sang du Christ, on égorgeait ou opprimait d’innombrables êtres faits à la ressemblance du Dieu Très-Haut ; que les crimes de la chair et les crimes de la pensée, épouvantables par leur énormité et par leur nombre, faisaient, à la même minute, une ronde de dix mille lieues autour de ce foyer de supplications, sous la même coupole constellée de cette longue nuit d’hiver…

L’esprit Saint raconte que les sept Enfants Machabées « s’exhortaient l’un l’autre avec leur mère à mourir fortement, en disant : Le Seigneur considérera la vérité et il sera consolé en nous, selon que Moïse le déclare dans son cantique par cette protestation : Et il sera consolé dans ses serviteurs. »

Ces Chartreux morts au monde pour être des serviteurs plus fidèles, veillent et chantent, avec l’Église, pour consoler, eux aussi, le Seigneur Dieu. Le Seigneur Dieu est triste jusqu’à la mort, parce que ses amis l’ont abandonné, et parce qu’il est nécessaire