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Malgré le tenaillement de ses pensées, Marchenoir ne put se défendre d’une commotion, en parcourant ce cloître immense, éclairé par cent treize fenêtres et mesurant 215 mètres de longueur, un peu plus que Saint-Pierre de Rome. Un tiers seulement, échappé à l’incendie de 1676, a conservé l’antique forme ogivale avec ses symboliques exfoliations de pierre, par lesquelles la piété du Moyen Âge voulut contraindre à l’action de grâces la matière brute et inanimée.

On visita successivement la salle du Chapitre ; la chapelle des morts, — remarquable dès le seuil par un très beau buste de la mort drapée dans un suaire et, de sa main de squelette, faisant un geste de catin à ceux qui passent ; le cimetière ; la curieuse chapelle Saint-Louis ; le réfectoire, — ce fameux réfectoire où les religieux se réunissent pour faire semblant de manger ; enfin, la bibliothèque ruinée tant de fois et, par conséquent, fort dénuée de ces magnifiques vélins manuscrits qui étaient la gloire de tant de monastères avant la Révolution, mais riche, néanmoins, de plus de six mille volumes, anciens pour la plupart.

On sait, d’ailleurs, que les Chartreux ont été de rudes écrivains. Une bibliothèque exclusivement cartusienne donnerait une liste d’au moins huit cents auteurs et cette liste resterait encore au-dessous de la vérité. « Il y a de nos Pères, disait avec candeur un ancien chartreux, qui font d’excellents escripts qui pourroyent beaucoup servir au public, et néantmoins, toute la production qu’ils leur procurent, c’est d’en allumer leur feu, quand il fait froid, après ma-