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le désespéré

d’affirmation ; fendre en quatre l’ombre de poil d’un sénile fantôme de sentiment, faire macérer, en trois cents pages, d’impondérables délicatesses amoureuses dans l’huile de myrrhe d’une chaste hypothèse ou dans les aromates d’un élégant scrupule ; surtout ne jamais conclure, ne jamais voir le Pauvre, ne jamais s’interrompre de gémir avec lord Byron sur l’aridité des joies humaines ; en un mot, ne jamais écrire ; — telles furent les victuailles psychologiques offertes par Dulaurier à cette élite dirigeante engraissée dans tous les dépotoirs révolutionnaires, mais qui, précisément, expirait d’une inanition d’aristocratie.

Après cela, que pouvait-on refuser à ce nourrisseur ? Tout, à l’instant, lui fut prodigué : l’autorité d’un augure, les éditions sans cesse renouvelées, la survente des vieux brouillons, les prix académiques, l’argent infini, et jusqu’à cette croix d’honneur si polluée, mais toujours désirable, qu’un artiste fier, à supposer qu’il l’obtînt, n’aurait même plus le droit d’accepter !

Le fauteuil d’immortalité lui manque encore. Mais il l’aura prochainement, dût-on faire crever une trentaine d’académiciens pour lui assurer des chances !

On ne voit guère qu’un seul homme de lettres qui se puisse flatter d’avoir joui, en ces derniers temps, d’une aussi insolente fortune. C’est Georges Ohnet, l’ineffable bossu millionnaire et avare, l’imbécile auteur du Maître de Forges, qu’une stricte justice devrait contraindre à pensionner les gens de talent dont il vole le salaire et idiotifie le public.

Mais, quelque vomitif que puisse être le succès